Apocalypse tomorrow

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Nouvelle écrite dans le cadre du concours de @LeCercleDesAuteurs, sur le thème "Apocalypse"


Une Apocalypse, ça se prépare. Minutieusement.

Sans vraiment s'en rendre compte, par petites touches, c'est ce que les gens ont commencé à faire.

C'est logique, d'une certaine manière. Si la fin du monde est imminente et inévitable, comme on le craint de plus en plus, la population va peu à peu cesser de placer son énergie et ses espoirs dans sa propre sauvegarde et penser à la suite. Les humains sont de plus en plus dégoûtés d'eux-mêmes et de tout ce qu'ils ont fait et continuent de faire. Ils se disent qu'après tout, la fin ne sera pas une grande perte à l'échelle de l'univers. Et qui sait, la suite pourrait être bien plus intéressante.

On ne sait pas qui peut survivre à une fin du monde. Peut-être personne, peut-être une poignée de gens. Mais on sait que la vie ne s'arrête pas là et trouve son chemin d'une manière ou d'une autre. Peut-être que les suivants seront nos lointains descendants, peut-être qu'ils seront l'évolution d'une toute autre espèce. Quoi qu'il en soit, d'autres viendront après nous, et ce sont eux qui repartiront de zéro pour tout rebâtir. Autant prévoir, dès maintenant, ce dont ils auront besoin dans cette tâche titanesque.

On s'est mis à construire des bunkers pour les bibliothèques. De grands bâtiments à l'épreuve du temps. On a réfléchi à la manière de les protéger pour que les suivants ne les ouvrent pas trop vite, qu'ils ne gâchent pas de précieuses ressources intellectuelles à une époque trop barbare pour que quelqu'un s'intéresse aux vieux messages des anciens.

Il fallait aussi de quoi transmettre des informations pratiques également, de quoi aider à la survie immédiate. Des statues et des bas-reliefs retraçant, étape par étape, les moyens de développer les ressources de base. L'agriculture, la métallurgie, la poterie... Les suivants pourront sans doute se passer de domaines de pointe comme la pétrochimie – et les réserves seront sans doute épuisées d'ici là – mais ça ne fera pas de mal d'avoir quelques bases. Histoire de ne pas stagner trop longtemps à l'âge de pierre à nouveau. Nos successeurs ne méritent pas ça.

Et puis ils créeront leur propre technologie aussi. Il ne restera pas grand-chose des ressources auxquelles nous avons eu accès, mais il y en aura d'autres. Nous avons laissé un impact important sur cette planète et quelle que soit la manière dont tout finira, nous laisserons beaucoup de restes derrière nous. À eux d'être ingénieux et d'en tirer parti.

Ils vont être vulnérables un certain temps. Il faudra que certains endroits restent protégés. C'est assez difficile d'anticiper exactement comment l'Apocalypse va impacter la terre, mais on peut essayer. Sauver quelques coins, c'est plus facile que de sauver la planète entière. Donc on le fait.

Nous accomplissons tout ça à partir des bonnes volontés de chacun. Certains ne sont pas d'accord. Soit parce qu'ils croient encore pouvoir se sauver. Soit parce qu'ils estiment qu'il n'y aura aucun survivant du tout et que ça ne sert à rien. Mais globalement, les gens aiment bien cette idée de préparer l'après. Ils se demandent quelle image les descendants auront d'eux, qu'est-ce qu'ils raconteront, autour du feu, sur ces Anciens qui ont détruit leur propre monde. Ils essayent de leur transmettre aussi d'autres choses qui seront importantes. Des leçons de sagesse. Ce n'est pas parce qu'on ne les a pas appliquées qu'elles ne sont pas bonnes.

Pour ça, on a aussi construit des statues de nous, des symboles que nous trouvions importants. C'est difficile de se dire que la seule trace que laissera notre espèce sera la fin du monde et des montagnes de déchets. Il fallait que quelque chose d'autre perdure. Nos mythes. Nos rêves. Nos histoires.

Donc les gens se sont réunis et organisés. Il le faut, quand on veut construire des projets aussi colossaux. Ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas les moyens d'empêcher l'Apocalypse qu'ils sont dénués de talents. Tout le monde peut apporter sa pierre à l'édifice – et concernant certains édifices, il y a eu des milliers de gens qui ont littéralement apporté leur pierre. C'était beau, symbolique, et fort. Un moment de communion comme notre monde en connait peu. La fin du monde est le seul projet qui unit tant de personnes sur la Terre entière. À travers ces constructions, notre société a un but à nouveau, quelque chose qui donne de l'élan et de l'espoir aux gens.

On ne sait pas à quoi ressemblera la suite, mais on spécule, on essaye d'imaginer. À quoi pourrait ressembler un monde totalement différent du nôtre, élevé sur nos restes ? Nous pouvons facilement lister toutes les erreurs à éviter – après tout, nous les avons toutes commises - mais savoir ce qui pourrait être fait à la place est bien plus compliqué. Nous essayons de comprendre, dans notre histoire, dans notre présent crépusculaire, ce qui est bon et précieux, ce qui fonctionne bien, ce qui pourra pousser nos successeurs bien plus loin que nous n'ayons été. Nous cachons des messages, des conseils qui ne pourront être accessibles qu'à certains types de sociétés, certaines philosophies. De petites récompenses pour encourager ceux qui choisiraient de bons chemins.

Au final nous pensons tant à ceux qui viendront après nous que nous en oublions notre propre funeste destin. Nos esprits restent légers et nos cœurs vaillants tandis que nous travaillons, réfléchissons, bâtissons, cachons, écrivons sans relâche. Nous restons constamment tournés vers le futur. Des milliers d'années avant leur naissance, les suivants nous aident à tenir le cap sans faillir, sans dévier de notre route, droit vers le précipice. Nous ne pouvons plus avoir d'enfants. Notre espèce meurt. Mais nous travaillons à sublimer notre mort, et ainsi, nous n'aurons pas vécu en vain.

Il fallait que les suivants soient alertés des dangers qu'ils pourraient rencontrer, mais aussi des merveilles qu'ils peuvent créer. Si nous avons su aller aussi loin, faire naitre une société aussi grandiose, alors vous le pouvez aussi, ou vous pouvez faire mieux encore. En tous cas, la survie n'est pas une fin en soi. Souvenez-vous de nous, même si c'est sous forme de fable et de spéculations, souvenez-vous que les humains ont existé et qu'ils ont remodelé le monde, souvenez-vous de nous et n'oubliez pas que vous pouvez faire bien plus que seulement survivre. 



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Idées folles et autres faribolesWhere stories live. Discover now