Alister la Magnifique

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Une nouvelle que j'ai retrouvée en fouillant dans de vieilles histoires... Elle n'a tristement pas pris une ride. Elle se déroule dans l'univers de "Kenjara" et de "la bourse ou la vie". 



Venez et voyez. Prenez les ailes du conte et mettez-les sur votre dos. Survolez d'un trait les sombres terres brulées du Meijj, ignorez les sourdes clameurs et râles d'agonie de la guerre, bouchez-vous le nez en traversant les miasmes de la maladie sur Enyack, avancez hardiment au-delà des rocs glacés du Dourlan. Et vous verrez en contrebas, tel un précieux joyau niché dans l'écrin des forêts, Alister la Magnifique, la Ville Blanche, le rêve des hommes, le paradis sur terre gravé dans le marbre et l'eau pure de ses mille fontaines. Construite par les Anciens, peuplée par les Elfes, les Sages et les Héros, elle n'a connu que paix et prospérité depuis des milliers d'années. De puissants magiciens veillent à sa sécurité et chaque nuit son sommeil paisible n'est troublé que par les chants et les musiques de danse, les rires et les serments amoureux murmurés d'une voix envoûtante.

Au pied d'Alister la Magnifique, cité des rêves, de minces colonnes de fumée s'élèvent parmi les arbres. La forêt qui est parvenue à s'agripper aux flancs des terribles montagnes est pourtant une forêt féroce qui joue pleinement son rôle de gardienne de la tranquillité des lieux. Elle offre peu de nourriture, peu de gibier, beaucoup de prédateurs, un bois perpétuellement humide, des arbres gigantesques, des buissons aux épines acérées, des tapis d'aiguilles dissimulant des fossés, des torrents puissants comme des canons. Pour ceux qui campent aux alentours de la cité, cette forêt n'offre pourtant rien de bien redoutable comparé à ce qu'ils ont fui. Ils survivent de leur mieux, affaiblis par les épreuves, unis dans la volonté farouche de ne pas laisser la faim et le froid les abattre alors qu'ils ont tenu face à l'horreur. De temps en temps, sans même s'en rendre compte, ils lèvent les yeux vers les hautes tours de la ville et sourient. Enfin ils touchent au but.

Dans l'un des campements, Hérioch dort dans sa cabane. Ou plutôt il somnole, roulé en boule sous ses fourrures pour avoir moins froid, sous les quelques planches qu'il a ajustées pour se protéger de la pluie. C'est l'un des plus anciens habitants du camp. Les autres ne savent pas trop ce qu'il fait là. Il sait parler des merveilles d'Alister avec plus de justesse que n'importe qui d'autre, mais lui ne lève plus les yeux vers les tours blanches pour sourire avec émerveillement. Bientôt, l'hiver sera là et la forêt passera d'inhospitalière à invivable. Peut-être qu'il arrivera à survivre – il est jeune, il est fort et il a déjà vaincu bien des difficultés. Mais les autres ? Peu de vieillards sont venus jusqu'ici, aux portes de la cité des rêves. Mais les adultes ont emmené leurs enfants avec eux. Beaucoup sont déjà morts sur la longue route qui menait jusqu'à la liberté, et ceux qui restent pourraient mourir stupidement de passer l'hiver dans une cabane, tout ça parce qu'Alister leur ferme ses portes. Difficile d'aimer la cité magnifique quand sa beauté ne renvoie plus qu'une suprême indifférence. Héricoch sait qu'il n'a pas le choix, il ne peut qu'attendre, aucune terre ne peut les accueillir aux alentours. C'est pour ça qu'il sort de moins en moins de ses fourrures, ces derniers temps. Il sait qu'il devrait se battre. Pourtant, inexplicablement, la force lui manque.

Par contre la force ne manque pas à Céréja. Il faut dire qu'elle est ici depuis moins longtemps. La rage qui l'habitait quand elle a fait ses bagages pour fuir la guerre, celle qui l'a poussée à continuer malgré tous les obstacles, qui lui a fait traverser l'épidémie et les montagnes, cette rage n'a pas eu le temps de s'user dans la morne répétition des journées d'attente. Elle se débat, elle organise le camp, la chasse, la garde des enfants, elle s'agite beaucoup, elle a moins de tâches à accomplir que de temps à tuer et elle lutte de son mieux pour ne jamais rester en repos. Tout pour ne pas penser, pour se retenir de faire la seule chose qu'elle meure d'envie de faire : prendre un pic, un marteau, une pierre, ses poings, et aller frapper de toutes ses forces les hauts murs d'Alister la fière jusqu'à ce qu'ils veuillent enfin s'ouvrir et les laisser passer. Toutes les merveilles qui l'attendent derrière ces murs l'appellent chaque jour : là-bas on trouve la paix, là-bas on trouve la santé, là-bas on trouve la sécurité, la nourriture en abondance, des maisons chaudes en hiver et fraîches en été, un espace à soi, un petit bout de rêve où on peut vivre et rendre les armes, rester simplement heureux sans craindre que les monstres ne viennent vous dévorer dans votre sommeil.

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⏰ Last updated: Jan 01, 2020 ⏰

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