CHAPITRE 6

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POINT DE VUE DE LAURE:

Que lui était réellement passé par la tête ? se demanda-t-elle alors qu'elle dévalait les escaliers du métro à toute vitesse.

Paniquée et honteuse, elle s'engouffra dans la première rame qu'elle aperçut. Elle mit quelques instants à reprendre son souffle. Accrochée à la barre en fer comme une huître à son rocher, la main crispée, Laure ressentait les battements de son coeur tambourinés contre sa cage thoracique. Après toutes ces années, elle reconnaissait les premiers signes d'une crise de panique. Se passant une main dans les cheveux, légèrement tremblante, elle regarda autour d'elle pour tenter de trouver un point d'ancrage. Sentant ses jambes se dérober sous elle, petit à petit, elle décida que s'assoir sur un de ces fauteuils peu confortable était la meilleure solution pour éviter le malaise. Une autre manière de te couvrir de ridicule ce soir, se réprimanda-t-elle intérieurement.

Son regard s'accrocha sur les autres passagers du wagon. Elle les observa, en secret. La jeune fille aux cheveux blonds comme le blé qui lisait un livre aussi long que son visage. Le vieux homme au regard vitreux et absent qui tenait son cadis dans la main de manière nonchalante. Le petit garçon habillé d'une salopette verte qui suçait son pouce en la regardant aussi. Elle vit chaque détail. Elle remarqua que la jeune fille se mordait nerveusement la peau du pouce. Que le vieux homme tapait du pied au rythme d'une mélodie inexistante. Que le petit garçon avait une chaussette sur deux. Une réalité apaisante et normale s'offrait à elle. Laure savait que ses crises pouvaient l'emmener dans des endroits sombres, l'immergeant dans des profondeurs d'où il lui avait compliqué de sortir. Alors elle se cramponna à cette vision réconfortante.

Puis son rythme cardiaque se mit à ralentir. Son souffle se fit plus régulier. Ses muscles se détendirent. Elle se laissa bercer par le mouvement irrégulier du métro, comptant le nombre de stations pour empêcher son esprit de partir au galop. Hors de question d'analyser ce qui s'était passé ce soir, s'était-elle interdit. Pas tant qu'elle ne se trouvait pas dans son ancre de paix.

Quelques minutes plus tard, à moitié assoupie, elle sortit de la rame et marcha à grandes enjambées vers la sortie. L'air frais la frappa au visage dès qu'elle mit le nez dehors. Les bras enroulés autour d'elle, elle se maudit intérieurement de ne pas avoir pris un pull. Elle traversa les quelques rues qui la séparaient de chez Ava. Elle aperçut l'immeuble avec soulagement. Elle se faufila dans le hall, vérifia qu'aucun élément ne la trahira devant ses amies et remit son tee-shirt de travers. Après plusieurs étages gravis, elle afficha son plus beau sourire dès qu'elle atteignait le palier.

Et à peine eut-elle levée le bras pour toquer que la porte s'ouvrit en grand sur ses amies.

— Et bah, ce n'est pas trop tôt, râla Ava en attrapant sauvagement son bras.

— Je n'ai pas vu l'heure passée. Mes plus plates excuses.

— On t'a donné la corvée de la vaisselle en réparation.

— Comme par hasard.

— Je vous adore mais je meurs de faim ! annonça Chloé en allant s'installer à la table.

— Tu sais que je l'ai surprise plusieurs fois le doigt dans mes plats. Tu te rends compte ? Une vraie sale gosse. Tu mériterais de sortir les poubelles pour la peine.

— Je voulais m'assurer que c'était bon.

— La pire insulte du monde, ajouta Ava en levant les yeux au ciel.

Elle sourit devant ses amies qui se chamaillèrent comme de vraies gamines de quatre ans. Il y avait des choses qui ne semblaient jamais changer. Elle s'assit en face d'une Chloé qui dévorait son morceau de pain comme si elle n'avait pas touché à la nourriture depuis des semaines. Ava, aux fourneaux, élégamment habillée de son habit de travail, semblait être concentrée à la composition des assiettes. Elle versa le liquide dans leurs assiettes creuses avec une adresse et une précision intactes qui lui fit tirer la langue. Puis, avec dextérité, apporta leur plat à la table dans un silence olympien.

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