Capuccino

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   Les mauvaises séries existent. C'est compliqué à gérer, mais c'est quelque chose qui fait partie du métier. Ce n'est jamais au bon moment, et c'est éprouvant. Et précisément en ce moment, ça commence à faire trop. Perdre trois patientes dans la même journée alors que nous sommes les mieux placées pour les sauver, ça fait mal. D'autant plus lorsque ça arrive alors que l'on traverse une période compliquée.
   Je n'ai plus de repères. Je les ai perdus, un à un, dans cet ascenceur... Et depuis, je me débats dans une substance aqueuse qui me paralyse. Prise au piège. C'est ce que je suis. Là où j'en suis. Plus rien n'a de sens. En moi, tout est chaos.
   20:30. Ma trop longue et mauvaise journée est terminée. Je vais rentrer, enfin. Alors que je m'apprête à partir, Addison s'approche de moi. Je me sens pâlir. Les battements de mon cœur se font plus rapides et plus vigoureux. Cette femme a sur moi une emprise remarquable. Et je suis ridicule. J'en suis consciente, évidemment. Ressentir ce genre de choses, choses qu'on ne comprend pas, ça fait très peur. J'ai le sentiment de me consumer de l'intérieur. A quoi bon espérer que quoi que ce soit arrive à nouveau ? A quoi bon y croire ? A quoi bon...

ADDISON, me tendant un gobelet. – Iness ? Tenez.

   Le prenant par réflexe, je suis immobilisée un moment, ne sachant que faire.

ADDISON. – Je sais que vous n'aimez pas le chocolat chaud, alors je vous ai pris un capuccino...

   Je ne m'attendais pas à ce qu'elle s'en souvienne.

MOI. – Merci... Merci beaucoup...

   J'avais besoin de cette attention, pour ne pas sombrer... Et il fallait que ce soit d'elle qu'elle vienne. Qu'elle en soit à l'initiative. L'ambiguïté de la situation me tuera. Toutes deux adossées au bureau des infirmières, nous buvons, dans un silence pesant. Faire un pas de plus ? Rester immobile ? Tenter.

MOI. – Doc... docteur Shepherd, est-ce que vous voudriez qu'on aille boire un verre ensemble après ça ?...

   Un nœu dans ma gorge, une boule dans mon ventre. J'en suis presque incable d'entendre sa réponse...

ADDISON. – Une autre fois, Iness... Derek m'attend.

   Je croise son regard triste, qu'elle s'empresse de détourner. Derek l'attend en effet, à quelques mètres de nous, devant les portes automatiques. Sans m'adresser un mot de plus, elle le rejoint. J'ai les larmes aux yeux. C'est à ce moment qu'Izzie, George, Meredith et Cristina débarquent.

GEORGE. – Salut Iness !
CRISTINA. – Iness, ne me dis pas que tu bois du chocolat chaud, je t'en supplie...
MEREDITH. – Elle déteste ça.
MOI, en même temps. – Je déteste ça.
IZZIE, me prenant le gobelet des mains. – Alors c'est quoi ? Qu'est-ce qu'il y a là-dedans ?
MOI. – Du capuccino. Maintenant, Izzie, rends-moi mon gobelet, et laissez-moi tranquille.
MEREDITH. – Tu bois ce que Satan t'a donné. Tu penses bien qu'on ne va pas te laisser tranquille de sitôt.
CRISTINA. – Ça c'est vrai.
MOI. – Ecoutez... On... on a eu une journée pourrie. On est épuisées. Alors on a le droit de boire un truc entre collègues avant de rentrer, merde !
IZZIE. – Hey, doucement, t'énerves pas...
MEREDITH. – Il y a autre chose. Il y a un truc entre vous deux... Qu'est-ce qui se passe ? Depuis le soir où elle t'a ramenée à la maison, vous êtes... bizarres.
GEORGE. – Oui, très bizarres.

   Je suis foutue...

MOI, esquivant, marchant en direction du parking. – Allez, on rentre...

   L'astuce fonctionne. Nous montons dans la voiture et prenons la route. Je n'arrive pas à me décider. Leur dire ? Me taire et attendre qu'ils découvrent d'eux-mêmes ce qui me lie à cette femme ? Je ne sais pas quoi faire. J'ignore quelle décision est la bonne, quelle décision sera la moins destructrice... On est censés la détester, mais je l'aime. Comment annoncer à ses meilleurs amis que l'on est amoureuse, folle amoureuse, de leur ennemie ? Comment verbaliser des sentiments que soi-même on ne comprend pas ? Alors que l'on roule depuis une dizaine de minutes et que mes amis débrieffent les interventions du jour, je rassemble mon courage et lance le pavé dans la mare.

MOI, dans un murmure. – Je suis amoureuse d'elle...

   Aucune réaction. Les conversations se poursuivent jusqu'à ce qu'Izzie réalise ce que je viens de dire.

IZZIE. – Attendez, attendez... Iness, qu'est-ce que tu viens de dire ?
MOI. – Tu as parfaitement entendu.
MEREDITH, nous regardant dans le rétro. – Qu'est-ce qu'elle a dit ?
GEORGE. – C'est vrai, qu'est-ce que tu as dit, Iness ?
MOI, regardant par la fenêtre. – Izzie : je t'en prie...
IZZIE. – Elle est amoureuse.
GEORGE. – Mais de qui ?

   Malaise.

CRISTINA. –... De Satan ?!
IZZIE. – Iness, c'est vrai ?

   J'acquiesce d'un hochement de tête.

MEREDITH. – Je comprends pas. Comment tu peux éprouver ça pour elle ?
MOI. – Meredith, on ne choisit pas ces choses-là...
GEORGE. – Ça fait longtemps ?
MOI. – De quoi ?
GEORGE. – Que tu sais que tu l'aimes...
MOI. – Que je le sais, deux semaines. Que je l'aime... probablement depuis que je l'ai rencontrée...

   Cristina me lance un regard perplexe.

MOI, me braquant. – Allez-y. Allez-y, détestez-moi autant que vous la détestez elle... De toute manière, la situation ne pourra pas être pire.
CRISTINA. – Comment peux-tu aimer cette femme ?
MOI. – Elle est humaine, Cristina. Et elle souffre, elle aussi.
MEREDITH. – Elle souffre, elle souffre... C'est elle qui a foutu son mariage en l'air.
MOI. – Ah non, commence pas. Si elle n'avait pas fait la bêtise de coucher avec Mark, tu n'aurais jamais connu Derek. Donc ne la blame pas pour ça. Ce n'est pas ton rôle.
IZZIE. – Elle n'a pas tort, Meredith...

   Nous descendons de la voiture et pénètrons dans la maison. N'étant pas prête à poursuivre cette conversation, je me précipite sous la douche. Une fois en pyjama et rafraîchie, je les rejoins. Ils ont commandé des pizzas.

MEREDITH. – Tu as couché avec elle ?
MOI, m'asseyant et prenant une part de pizza. –... Non.
CRISTINA. – Je comprends rien. Si t'as pas couché avec elle, qu'est-ce qui s'est passé ?
MOI. – Elle m'a... on s'est embrassées.
GEORGE. – Attends, quoi ? Ta... ta langue dans... sa bouche ?
MOI, lassée. – Oui, George, ma langue dans sa bouche et la sienne dans la mienne.
MEREDITH. – Je savais qu'il s'était passé quelque chose ! Je le savais !
IZZIE. – Mais comment c'est arrivé ?
MOI. – Tu sais, Izzie, être coincée dans un ascenseur, qui plus est lorsqu'il est en panne, ça peut précipiter... certaines choses...
MEREDITH. – Donc si je résume, tu te retrouves dans l'ascenseur avec elle, il tombe en panne, et là, tu l'embrasses.
GEORGE. – Satan l'embrasse. Hein, Iness ? C'est bien ce que t'as dit ?
MOI. – Oui. Addison m'a embrassée.
CRISTINA. – Alors là...
MOI. – Que ce soit clair, elle ne l'a pas fait de but en blanc. On a... parlé, avant ça.
IZZIE. – Et qu'est-ce que tu lui as dit pour qu'elle te saute au cou comme ça ?
MOI. – Je lui ai dit que... que dans un autre contexte, les choses seraient différentes. Le reste, ça ne vous regarde pas. C'est entre elle et moi.

   Mes amis se taisent un instant, circonspects.

MEREDITH. – Et donc, là, vous en êtes où ? A quoi vous jouez ?

   Je redoutais cette question.

MOI. – Je... je sais pas, Meredith... Elle fait comme si rien ne s'était passé, mais en même temps, j'ai l'impression qu'elle...
GEORGE. –... T'aime en retour ?
MOI. – Je crois...

I'm in Love with Satan | EN PAUSEWhere stories live. Discover now