Black Code

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   À l'hôpital, il paraît que vous savez. Vous savez quand vous allez mourir...
   Certains médecins disent qu'il y a une lueur dans le regard des patients. D'autres disent qu'il y a une odeur, l'odeur de la mort.
   Certains pensent que c'est comme une sorte de sixième sens.
   Quand la mort se dirige vers vous, vous le sentez. Quoi qu'il arrive, c'est angoissant... Parce que si vous le savez, qu'est-ce que vous faites ?
   Oubliez que vous êtes effrayés.
   Si vous saviez que c'était le dernier jour de votre vie, comment voudriez-vous le passer ?

***

   Je suis terrifiée. En arrivant au boulot ce matin, le manque d'effectif a fait que je me suis retrouvée aux urgences. En première ligne. Alors quand cette jeune secouriste est arrivée avec la main plongée dans le patient, il a fallu que ce moi qui les prenne en charge. Et ensuite, il a fallu que l'on découvre in extremis qu'il avait un obus coincé en lui. Un obus. Qui n'a évidemment pas encore explosé. Quelle idée stupide. Donc, je suis terrifiée. Je tiens entre mes mains l'objet susceptible de tous nous faire exploser. Meredith, Cristina, George, Izzie, Bailey, Webber... Addison... Tous sans exception. Tout cet hôpital.
   Code noir. C'est le reflet de ma vie, finalement : une bombe à retardement.
   En face de moi dans ce bloc de malheur : Dylan Young, démineur. Je ne le supporte pas. Sa façon de me parler me révulse. Je me sentais déjà mal avant sa venue, mais c'est pire désormais. Alors qu'il est censé tous nous sauver...

DYLAN. – Iness, qu'est-ce que vous avez fait ?! On m'avait dit que c'était une secouriste coincée dans le patient ! Pas un médecin dont le travail est reconnu à travers tout le pays ! Pourquoi vous avez fait ça ?!
MOI. – La ferme ! Par pitié, la ferme ! Hannah a paniqué, et je nous ai peut-être sauvé la vie. Ou je viens de tous nous tuer, j'en sais rien ! Je ne sais pas ce que j'ai fait ! Toujours est-il qu'on ne va pas revenir en arrière. Dylan, les dés sont jetés, alors maintenant, fermez-la un peu et faites votre putain de boulot au lieu de me faire la leçon !

   Au même moment, quelqu'un pousse la porte du bloc. C'est Addison. Dylan monte aussitôt au créneau.

DYLAN, tendant le bras pour la stopper. – Restez où vous êtes !
ADDISON, s'arrêtant net. – C'est bon, c'est bon, je n'avance pas plus !

   Il la rejoint et ils commencent à chuchoter, ce qui ne m'empêche pas de les entendre.

ADDISON. – Il va falloir que vous changiez de bloc : vous êtes juste au-dessus du conduit d'oxygène et... si on veut limiter les dégâts en cas d'explosion, il... il faut que vous bougiez...

   Ne s'étant jusqu'alors pas rendu compte que c'était moi, la fille avec la main dans le patient, elle s'en aperçoit soudain, en levant les yeux dans ma direction. Je la vois blêmir.

ADDISON. – Iness ?! Oh mon dieu...
MOI, les larmes aux yeux. – Addison...
ADDISON. – Iness, il faut que...
MOI, paniquée. – J'ai entendu. Vous... vous voulez qu'on bouge toute la civière alors que je ne peux pas bouger le petit doigt ?
DYLAN. – C'est notre seule chance si on ne veut pas tout faire sauter. On doit y aller. Vous êtes prête ?
MOI. – Oui... Non. Attendez.

   Il me lance un regard réprobateur. Addison me regarde fixement, semblant elle aussi terrifiée.

MOI. – Addison, si... si je meurs... Merci, pour tout. Vous avez été une enseignante exceptionnelle. Allez, maintenant partez.

   Me toisant, elle ne bouge pas.

MOI. – Partez, je vous en prie. Je ne pourrai pas me résoudre à bouger en vous sachant encore dans les parages. Je n'y arriverai pas si vous ne partez pas. Allez-vous‐en.

   Interdite, elle finit tout de même par s'exécuter. J'inspire profondément et tourne enfin la tête vers Dylan, tâchant tant bien que mal de garder mon sang froid.

MOI. – Je suis prête.

   Nous commençons alors à bouger. Lentement. Très lentement. Je me sens fébrile mais je ne peux pas me permettre de flancher. Alors je reste forte, stoïque, comme toujours. Il n'y a pas de place pour les émotions. Ni maintenant, ni jamais. Au détour d'un couloir, nous tombons nez à nez avec Meredith, laquelle se rend au bloc 3. Le docteur Bailey y pratique une cholécystectomie en urgence.

MEREDITH. – Iness ? Qu'est-ce que vous faites ?
MOI. – On change de bloc. On était au-dessus du conduit d'oxygène. Si ça pète, on va éviter de tout faire sauter... Meredith, je t'en supplie, dis-moi quelque chose. J'ai peur, je ne peux pas bouger ma main du patient et j'ai super envie de faire pipi.
MEREDITH. – Ok, euh... Webber a fait une crise d'angoisse. Les internes s'occupent de lui. Et euh... Addison et Derek se sont engueulés.
MOI. – Pourquoi ?
MEREDITH. – Il s'est inquiété pour moi plus que pour elle. Elle l'a mal pris.
MOI. – Tu m'étonnes...

   Dylan et son collègue, jusqu'alors captivés par la conversation détournent les yeux quand Meredith les fusille du regard.

MEREDITH. – Mêlez-vous de vos oignons !

   Elle ne s'attarde pas plus et repart pour le bloc. Nous nous remettons en marche. Je fais des efforts surhumains pour ne pas fondre en larmes. Le docteur Hahn nous attend. Nous entrons.

DYLAN. – Iness.
DR. HAHN. – Blanc ?... Blanc ?
MOI. – Faites... faites en sorte, si je meurs...
DR. HAHN. – Vous n'allez pas mourir. Vous m'entendez, Blanc ? Vous ne mourrez pas aujourd'hui.
DYLAN. – Iness, écoutez-moi. Vous allez devoir sortir le projectile le plus à plat possible. Pas de mouvement brusque. D'accord ?
MOI, la voix mal assurée. –... D'ac... d'accord...

   Je peux le faire. Je dois le faire. J'agrippe le plus doucement possible l'obus et le sors du patient avec une lenteur et une stabilité qui me surprennent moi-même. J'ai peur. J'ai tellement peur que je suis au bord de la paralysie. Je dépose le projectile dans les mains de Dylan, les yeux dans le vide. Il sort de la pièce, lentement. Une fois qu'il est hors des lieux, je me mets à trembler comme une feuille.

DR. HAHN. – C'est très bien Blanc. Vous pouvez y aller.

   Je ne me fais pas prier et quitte très vite la pièce. Je parcours quelques mètres dans le couloir, apercevant Dylan devant moi, quand une forte détonation suivie d'un souffle puissant me projettent en arrière. Je me sens heurter le sol puis tout devient noir. Je perds conscience.
   A mon réveil, je suis sur un lit au dispensaire. Tous mes membres me font mal. Je souffre. Je veux néanmoins me relever et partir d'ici. Izzie et Cristina m'aident à me redresser.

CRISTINA. – Iness, Iness, doucement. Ne te précipite pas.
IZZIE. ‐ Elle a raison. Tu es encore sonnée, va doucement.
MOI. – C'est bon, ça va, je vais bien.
CRISTINA. – Attends, s'il te plaît. Il faut qu'on t'examine.
IZZIE. – Tu sais où tu es ? Tu sais ce qui s'est passé ?
MOI, agacée. – Oui, je sais. Je suis au dispensaire. La bombe a explosé, le démineur est... est mort. Brume rose. Je sais, Izzie...

   Après une bonne heure et maints examens, elles me laissent enfin libre. Je vais bien. Comme toujours. Je me rends rapidement au vestiaire : je veux prendre une douche et me changer.
   Je me sens encore endolorie. En touchant mon corps, je ne peux m'empêcher de me remémorer des sensations analogues, ressenties il y a de cela des années, en Russie. La violence des souvenirs fait lâcher mes nerfs qui n'étaient déjà que trop à vif. Je fonds en larmes alors que l'eau brûlante ruisselle sur ma peau.
   Après une quinzaine de minutes, je parviens à me calmer et sors de la douche, me sèche rapidement les cheveux et enfile des vêtements sombres. C'est de circonstance...
   Alors que je descends dans le hall, je me prends de plein fouet l'effervescence ambiante. Une foule éparse s'active frénétiquement. Puis d'un seul coup, tout s'arrête. Hahn sort de l'ascenseur. Le Chef et la femme du patient se précipitent vers elle. L'homme a survécu. Au même moment, Addison débarque, semblant extrêmement fébrile. Elle rejoint Derek, qui me désigne alors d'un coup de menton. Mon regard s'emplit de larmes lorsque je croise celui de ma titulaire. Elle semble m'interroger : "tu vas bien ?"... Oui, Addison. Je vais bien.

I'm in Love with Satan | EN PAUSEWhere stories live. Discover now