Once upon a time... Iness

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TW - mention de violences conjugales, intrafamiliales, de viols, d'inceste, de meurtre et de prostitution.

   Son regard menthe à l'eau me transperce de part en part.

MOI, la voix tremblante. -... Vous savez que je viens de Russie...
ADDISON. - Oui.
MOI. - Vous ignorez pourquoi je suis partie...

   S'attendant à quelque chose de délicat, elle pose une main sur mon avant-bras.

MOI. - Mes parents se sont mariés quand ils ont appris la grossesse de ma mère. C'était une erreur. Ils ne se sont jamais aimés. Huit mois après ma naissance, mon père a commencé à la battre. J'avais cinq ans la première fois que j'ai pris un coup... Ma mère... Elle n'avait pas les moyens de partir, et encore moins en m'emmenant avec elle. A dix ans, j'ai vu mon père la violer pour la première fois. Je l'ai vu la frapper jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus rien faire pour se défendre... J'en avais treize quand... Pardon.

   Je suis étouffée par un sanglot. Addison, se doutant de ce que je m'apprête à lui révéler, réagit tout de suite, serrant mon bras.

ADDISON. - Ne vous excusez pas. Prenez votre temps. S'il faut qu'on y passe la nuit, on y passera la nuit, d'accord ?

   Sanglotant, je hoche la tête, cherchant un regard bienveillant auquel me raccrocher. Je le trouve. Je baisse les yeux un instant, fixant mes genoux, avant de reprendre.

MOI. - J'avais treize ans la première fois qu'il m'a violée...

   Je marque une pause, me sentant mal.

MOI. - Il y a eu d'autres fois, Addison, des dizaines d'autres...

   Elle est extrêmement concentrée sur mes propos. Ses yeux me sondent en profondeur. Je n'en ai pas l'habitude, mais avoir son attention, son soutien silencieux et implicite me donne confiance. Elle me laisse le temps, rassurante.

MOI. - La veille de mes dix-sept ans, j'étais seule avec lui... Il a saisi un couteau de cuisine et m'a menacée. Si je ne quittais pas la maison sur le champ, il me tuerait. Alors je suis partie. Je n'avais rien emmené avec moi. J'ai quitté la maison le matin, en me disant que je reviendrai en fin d'après-midi, à l'heure où il allait d'habitude au bar, avec tous les autres enfoirés qui lui servaient d'amis. Quand... quand je suis revenue dans la maison, il était bien parti... C'est à ce moment-là que... que j'ai retrouvé... le cadavre de ma mère, dans la cuisine. Il l'avait rouée de coups avant de la poignarder à mort...

   Décontenancée, Addison passe une main hésitante dans mon dos, tentant vainement de m'apporter un peu de réconfort.

ADDISON. - Iness...
MOI. - Je... je suis restée allongée contre elle, dans cette marre de sang, pendant deux heures, avant d'avoir le courage d'appeler la police... Police qui, je le savais d'avance, ne condamnerai jamais ce salopard... Après ça, je me suis dit que je devais partir. Sans me retourner. Quitter à jamais la Russie. Je parlais déjà anglais : ironie du sort, ma mère m'avait inscrite à des cours dès mon enfance, me répétant constamment que le jour où j'aurais besoin d'une porte de sortie, ce serait ça. Le problème, c'est que je n'avais ni argent, ni famille, ni contact à l'étranger susceptible de m'aider. Je n'avais rien. Alors j'ai eu recours à des choses... plus ou moins légales...

   Elle me toise d'un regard doux, sachant où je compte en venir, prenant ma main dans la sienne.

MOI. - J'ai erré dans les rues de ma ville, mendiant... Ce n'était malheureusement pas avec trois-cent roubles par jour que je m'en sortirais...

   Je soupire... Ses yeux embués m'incitent à poursuivre, même si j'ai terriblement peur de la dégoûter, et qu'elle me regarde avec le même mépris que celui avec lequel j'étais regardée en Russie...

MOI. - Donc j'ai vendu mon corps. Je me suis prostituée... Et je suis devenue la Pute de la Neva. J'étais célèbre, là-bas... Tristement célèbre. Addison, j'ai... j'ai fait des choses que vous ne pouvez même pas imaginer... En termes de pratiques sexuelles déviantes, choquantes, gores... j'ai tout fait. C'était ce qui payait le mieux. Au bout de trois ans, Bludnitsa Neva était connue à Saint-Pétersbourg, à Moscou, et jusqu'à Iekaterinbourg... Cherchez sur Internet : même vingt ans plus tard, il y a toujours des articles qui circulent en Russie... Addison, je ne dois pas être reconnue. Je... j'étais seulement une gamine prête à tout pour fuir... Et vous avez vu ce que ça m'a coûté... Toutes ces cicatrices. C'est ça. Les brûlures, les plaies qui ont mal cicatrisé, tout est là. Traces indélébiles sur mon corps... Maintenant, vous savez.

   Je marque une pause, prenant sur moi pour ne pas m'effondrer. Elle serre ma main.

MOI. - Quand vous m'avez vue nue, j'ai eu peur. Je me suis revue là-bas, faisant toutes ces... choses horribles... Mais à... à l'instant où vous avez levé les yeux pour me regarder, à l'instant où vous m'avez prise en considération, j'ai eu confiance. Et ça, Addison, je voulais que vous le sachiez : vous êtes la première personne qui me voit comme ça depuis la Russie. Je ne me suis pas abstenue depuis, mais à chaque fois, j'étais terrifiée, j'étais mal à l'aise, et je trouvais des stratagèmes pour ne pas me dévoiler. Avec vous, je me suis sentie bien. Je me suis sentie aimée pour ce que j'étais. Vous avez vu, et vous m'avez seulement aimée, sans me juger. Faire l'amour a retrouvé tout son sens... Et quoi qu'il arrive, pour ça, je vous serai éternellement reconnaissante.

   Je m'effondre. Je ne peux plus retenir les larmes. Sans mot dire, Addison se rapproche de moi et m'enlace. Je tombe dans ses bras. Elle m'étreint très fortement, faisant barrage à la crise d'angoisse qui me guette. Elle sait désormais sur moi plus que n'importe qui. Elle sait tout.

ADDISON. - Merci de m'avoir dit tout ça. Je suis touchée par la confiance que vous m'accordez. Sincèrement.

   Je me redresse pour l'embrasser. Mes lèvres tremblotantes entrent en contact avec les siennes ce qui me procure aussitôt un sentiment de bien-être. Elle me rend le baiser, posant une main sur ma joue.

MOI. - Addison... Où est-ce qu'on en est ?...

   Elle reste interdite, évitant mon regard. Brisant enfin le silence, elle ose lever les yeux vers moi.

ADDISON. - J'ai... j'ai envie de construire quelque chose avec vous, Iness...

   Gardant le silence, je lui laisse le temps de poursuivre.

ADDISON. - Mais Derek... Je ne peux pas lui faire ça. Pas tout de suite. Et je ne sais pas comment on peut s'en sortir... Je suis... attirée par vous comme un aimant. Je ne peux pas lutter. Or je ne veux pas faire de vous la vilaine maîtresse. Quoiqu'il arrive, quand il l'apprendra, vous serez la méchante de l'histoire...
MOI. - Donc vous insinuez qu'un jour, nous... nous deux, ce sera réel ?
ADDISON. - Oui, Iness. Ça le sera.

   Une larme coule sur ma joue. Elle y pose une main, l'essuyant de son pouce.

ADDISON. - Un jour, il faudra qu'on sorte de l'ombre.
MOI. - Quand ?
ADDISON. - Je... je ne sais pas...

I'm in Love with Satan | EN PAUSEWhere stories live. Discover now