Un carillon, une cigarette et toi

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«Dimanche 4 septembre»

« 12 »

ARIEL MULLER ÉTAIT un paradoxe. Présomptueux et insolent, il affichait continuellement un rictus goguenard et un air malicieux – que sa famille, ses proches, ses amis et même la jolie caissière du Auchan jugeaient de PASSABLEMENT HORRIPILANT. Il aimait déambuler dans les couloirs du lycée – affublé d'un costume ridicule, un club de golf coincé sur son épaule droite – un casque audio cernant son crâne et crachant la bande original du film Le Professionnel. Indéniablement provocateur, son doigt écrasait les sonnettes et alors le joli brun apparaissait sur le seuil de votre porte, clamant haut et fort l'existence de Raptor Jésus, les yeux exorbités.

Ariel Muller feignait la nonchalance, l'impulsivité et le dédain à la perfection. Effectivement, tout ce qu'il entreprenait – de la plus petite connerie à la potentielle exclusion – était organisé, commenté, disserté et millimétré. Ariel Muller abhorrait l'imprévu. L'imprévu était cruel, perfide, rusé et terriblement angoissant. L'imprévu menait à l'appréhension, l'appréhension menait au désarroi et le désarroi menait à l'imprudence. Or, Camille Roy était l'imprévu personnifié.

Couché sur le sol, enroulé dans une couette rouge tel un papillon dans sa chrysalide, il guidait Ariel afin que celui-ci installe correctement un carillon au-dessus de leur porte de chambre. Perché en équilibre précaire sur un tabouret rouge, Ariel déchirait quelques gros morceaux de scotch gris à l'aide de ses dents. Ils n'avaient pas le droit de clouer, aussi se retrouvaient-ils à coller un carillon en mauvais état – ses tiges métalliques constellées de taches de rouille, un autocollant Harry Potter se décollant mollement sur la tringle la plus large. Ariel soupira et jeta à Camille un regard profondément consterné. Les sourcils froncés, le blond se trémoussait sur le sol afin d'avoir un meilleur angle de vue. Enfin, son visage s'illumina et un sourire immense fendit son visage en deux.

— Tu sais, tu as le sourire du paresseux dans Zootopia, c'est carrément flippant, lança Ariel, une moue dédaigneuse voilant son visage amusé.

Camille repoussa l'édredon dans lequel il était emmitouflé et brandit fièrement son majeur, arrachant un éclat de rire spontané à Ariel. En réalité, il aimait bien ce sourire, franc et chaleureux. La poignée de porte remua subitement et Ariel bondit sur le sol en glapissant. L'énorme rouleau de scotch scintillant roula sur le sol, le tabouret s'écrasa violemment sur le parquet blanc et tandis que Camille se relevait avec une grâce éléphantesque, un vieil homme aux traits burinés et aux cheveux rares s'engouffra dans la pièce. Le carillon fit un bruit épouvantable. Camille effectua une courbette révérencieuse et Ariel esquissa un sourire amusé.

— Cessez vos idioties, monsieur Roy, et rangez moi ce capharnaüm, ordonna le nouvel arrivant.

Le vieil homme braqua sur Ariel un regard perçant et l'ombre d'un sourire vint effleurer ses lèvres sèches. Hilare, Camille tourna les talons et donna un coup de pied dans une chemise verte. Le vêtement s'envola, percuta le globe – le faisant dangereusement vaciller – puis s'immobilisa sous les ricanements nerveux des deux adolescents.

— Monsieur Muller, reprit le vieil homme en ignorant Camille, j'espère que vous saurez saisir la chance que vous accorde mon établissement.

Sa voix était rauque et sa respiration, saccadée, comme s'il était épuisé. Il avait un grain de beauté disgracieux sur le menton, et Ariel le fixait malgré lui, gêné. L'homme empestait la naphtaline.

— Je suis un homme tolérant, monsieur Muller. Épargnez moi vos enfantillages et tachez de vous conduire en jeune homme responsable. Nous nous comprenons ?

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