Juan, une fête foraine et des tacos

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« dimanche 1er janvier »


;«3h10» ;

LEUR CONDUCTEUR BOUGON FREINA BRUTALEMENT, un juron particulièrement obscène fusa et Ariel s'éloigna brusquement en humectant ses lèvres pleines, où se déployait une risette embarrassée. Camille triturait nerveusement ses doigts, son regard troublé se fourvoyant un peu plus loin – vers la chaussée étincelante. Figé, leur chauffeur toisait un gamin assis en tailleur sur le bitume érodé. Son visage était glabre et poupin et un sourire espiègle épousait la courbe de ses lèvres. Une fossette creusait sa joue basanée, il ne devait pas avoir plus de quinze ans et tripotait deux tuyaux enfoncés dans ses narines. Guilleret, il salua le vieil homme, saisit son téléphone portable et lança « Last Christmas » de Wham en tournoyant sur lui même, les yeux clos et ignorant la moue contrariée du chauffeur.

Last Christmas
I gave you my heart
But the very next day you gave it away.

Sa moustache frémissante, ses bajoues embrasées et ses phalanges blèmes – agrippés au volant – trahissant son énervement, celui-ci se retourna, offrant son air désemparé à ses passagers ébahis. Les adolescents observaient le garçon en réprimant le fou rire qui leur chatouillait la gorge, la bouche rieuse et les yeux malicieux.

— Descendez, s'il vous plaît, intima le chauffeur en reniflant.

Abasourdi et vaguement indigné, Camille jeta à Ariel un regard torve, oscillant entre la colère et l'hilarité.

— Je suis en arrêt maladie, annonça le chauffeur en posant une main contre son cœur, théâtral.

— Depuis quand ? s'insurgea Ariel.

L'index boudiné du chauffeur tapota fébrilement sa montre au cadran bousillé, un sourire espiègle taquina sa moustache grisonnante et ses sourcils dégringolèrent mollement sur ses iris blasés.

— Depuis environ deux minutes, annonça t-il.

Camille tenta de négocier, en vain. Le vieil homme martela son auto-radio et bientôt, Beyoncé braillait à s'en déchirer les cordes vocales, submergeant l'habitacle où beuglait un blond au sourire colossal, Ariel promenant ses orbes céruléennes sur le garçon dansant sur la chaussée, son visage mutin métamorphosé en une moue jubilatoire.

La scène restait globalement comique: un jeune homme, une bouteille d'oxygène calée sur ses frêles épaules, bondissait sur le bitume en fredonnant avec engouement (« This year
To save me from tears
I'll give it to someone special !» ). Le chauffeur giflait prestement la main de Camille lorsque celui-ci tentait – en un plongeon désespéré – de faire taire l'auto-radio et Ariel souriait béatement en louchant sur l'étrange danseur.

Finalement, les deux adolescents quittèrent le taxi, Ariel brandissant fièrement son majeur et Camille toisant froidement le véhicule, une main caressant sa nuque en un mouvement vaguement embarrassé.

— Il m'a largué aussi, ce vieux bouc.

Le garçon ne dansait plus, un rictus déluré dansant sur ses lèvres entrouvertes, deux pétales violines alourdissant ses iris endiablés et accentuant la couleur de ses yeux : caramélisés, une explosion mordorée encerclait ses pupilles dilatées. Il croisa les bras et déclara, presque fièrement :

PerhapsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant