Une bicyclette, Cerbère et un trop

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«Vendredi 16 septembre»


ACCULÉ CONTRE LE MUR – recroquevillé et enchevêtré dans un drap immaculé – Ariel dormait, la bouche entrouverte. Sa chevelure échevelée foisonnait légèrement le long de ses tempes et lui chatouillait la nuque. Le vélux entrouvert crachait un vent glacial (en réalité, Ariel n'avait pas réussi à le refermer après avoir balancé les mégots de Camille sur le toit et avait comblé l'ouverture avec un poster du Titanic. À intervalles réguliers, l'affiche gonflait et claquait bruyamment, comme si elle inspirait et expirait profondément. Ariel avait l'impression de cohabiter avec un troll, planqué sur le toit biscornu et respirant contre le poster).

Il grommela quelques paroles indistinctes, renifla bruyamment et frôla l'apoplexie lorsqu'une main – énorme, poisseuse et tremblotante – s'écrasa violemment contre sa bouche. Sa lèvre explosa contre ses dents et le goût métallique du sang inonda son palais, lui arrachant un imperceptible haut-le-cœur. Deux mains encerclèrent abruptement ses chevilles et Ariel glapit furieusement. Groggy, il s'écrasa maladroitement sur le plancher bombé, ignorant les rires exaltés, les chuchotements horrifiés et les murmures craintifs, les yeux gonflés par le sommeil et un joli épi égayant le sommet de son crâne. Alexis – un rictus jubilatoire errant sur ses lèvres purpurines – saisit le col de son t-shirt « Peter Pan » et lui indiqua la porte, guillerette.

— Qu'est-ce que vous foutez, encore ? marmonna Ariel en se pinçant l'arête du nez.

Il aperçut Mathis, ses caquètements fébriles et ses gestes désordonnés – une main agrippée au sweat-shirt d'un blond au sourire colossal – et grommela, bougon :

— Cette chambre est un foutu moulin, putain.

— On ne parle pas comme un charretier en ma présence, Mermaid ! trancha Camille en repoussant Mathis. Allons-y.

Alexis et Mathis saisirent ses épaules, et ignorant les bredouillements outrés d'Ariel, ses jambes flageolantes et ses cernes proéminentes, le poussèrent en avant, sifflotant gaiement la marche funèbre. Ils quittèrent prestement la chambre « 12 », longèrent un couloir silencieux, bifurquèrent à droite et débouchèrent à l'extérieur, quelques grillons planqués dans les hautes herbes braillant leur chant grésillant. L'air vif et mordant alanguit instantanément les muscles d'Ariel et un frisson glacé lui parcourut l'échine. L'angoisse lui nouait les entrailles, l'imprévu lui asséchait la gorge et l'adrénaline lui insufflait un courage inaccoutumé.










Ils quittèrent Saint-Charles, empruntèrent un chemin gravillonné et longèrent une départementale quasiment déserte. Enfin, Ariel distingua une peugeot 405 en piteux état – peinture rouge écaillée, portières cabossées, phares brisés, sièges éventrés et coffre entrouvert – maladroitement garée sur le bas côté, ses pneus écrasant impitoyablement l'herbe grasse. Aussitôt, Alexis ouvrit la portière et bondit sur la banquette arrière, son rire cristallin déchirant agréablement le silence de la nuit. Le cœur d'Ariel battait si vite qu'il semblait vouloir perforer sa cage thoracique.

Camille s'enfonça dans les fourrées et en ressortit un instant plus tard, brandissant fièrement au-dessus de sa tête une bicyclette, quelques feuilles orangées scotchées à ses vêtements. L'engin était très petit et très rose, les cheveux peroxydés d'une poupée Barbie avaient été enroulés autour du guidon et son corps beige –plastifié et partiellement nu oscillait – doucettement dans le vide. Camille déposa la bicyclette enfantine aux pieds (gelés, écorchés et boueux) d'Ariel, son regard de jade brillant sous la lumière des étoiles.

— Grimpe.

Un large sourire se dessina sur le visage de Camille.

— Tu rigoles, j'espère ? rétorqua Ariel en reculant d'un pas, secoué d'un rire jaune.

PerhapsWhere stories live. Discover now