Une prison, leur amour et Mathis Rousseau

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«Samedi 4 mars»

;«10h03»;

BRAS ET JAMBES LÉGÈREMENT écartés, un sourire railleur jouant sur ses lèvres rosées, Juan fredonnait should I stay or should I go, du groupe the clash ; un homme au visage glabre, efflanqué et blasé palpait ses vêtements, frôlait sa bouteille d'oxygène, froufrou assuré et ennuyé. Épongeant un soupir résigné, Juan pivota et l'homme examina ses poches, ses chaussures, sa capuche, ses sourcils froncés dégringolant sur ses prunelles havanes, perçantes.

—Tu as dix-huit ans, gamin ? l'interrogea le gardien, sceptique, une main frottant ses lèvres pincées.

— Le mineur de plus de seize ans peut venir sans accompagnateur si les titulaires de l'autorité parentale ont donné leur accord écrit et si la visite concerne un parent détenu, récita Juan, et son interlocuteur souffla, un rictus vraisemblablement méprisant ourlant ses lippes sèches. Je viens voir Adam Rousseau, mon cousin. Il a récemment perdu son frère, et comme personne ne l'aime, je me dévoue pour lui apporter des oranges en prison. La solidarité familiale, vous voyez, m'sieur ? Je veux pas finir comme les proches de Michael Myers.

Sa moue railleuse, son insolence effrontée, impudente, sa risette faussement bon enfant, ses orbes rieuses : Juan jouait à l'imbécile au mauvais endroit, harassé, les épaules voûtées et le teint exsangue ; sa fatigue, indéniable, sautait aux yeux. Une quinte de toux lui déchirant soudainement la gorge, Juan se laissa choir à genoux sur le sol, ignorant le gardien tétanisé et ses onomatopées paniquées.

—Ça va, croassa l'adolescent, la voix rauque, et il se dégagea férocement lorsque le gardien saisit son avant-bras, anxieux. Ça va !

Ses iris agités le toisèrent hargneusement et Juan, penaud, se massa brièvement les globes oculaires, haletant.

—Excusez-moi, le voyage a été éprouvant. Cette prison est aussi bien planquée que l'arkenstone. Je peux rejoindre le parloir, maintenant ?

;«10h07»;

Le parloir était un endroit sordide, froid, ses murs anthracites à la sobriété étouffante embaumant la rancune, la frustration et l'amertume. Deux chaises branlantes, inconfortables, une table austère, craquelée et une ambiance pondérée ; Juan tripotait les tuyaux enfoncés dans ses narines, son pied tapotant frénétiquement le sol carrelé, une horloge et son TIC TAC soporifique le berçant doucettement.

—Où sont mes oranges, niño ?

Adam Rousseau était là, sa prestance, sa silhouette athlétique, son air maussade, ses muscles noueux, ses joues rugueuses, sa peau hâlée et son crâne rasé. Rasé ? Une ecchymose bleuâtre alourdissait son regard blasé, sa lèvre inférieure était gonflée, gorgée de sang, et son crâne avait été maladroitement rasée.

—T'as une sale tête, lâcha Juan, estomaqué.

—Bonjour à toi aussi, cousin, railla Adam en levant les yeux au ciel, désormais affaissé sur sa chaise en plastique, beige et incommode. T'es ma première visite en quatre ans.

—Tragique.

Un grand sourire se dessina sur les lèvres du détenu et il secoua la tête, amusé. Juan était culotté, et Adam aimait ça. Ce gamin était incroyable, avec son excentricité divertissante, ses mimiques enjouées et enflammées, ses mots et ses maux ; Juan était une bouffée d'air frais, un stimulant en ce monde au charme désuet.

Avec son visage poupin, sa démarche assurée, ses grands yeux expressifs, son sourire narquois et ses bavardages sarcastiques, Juan était, au premier abord, un gosse insolent, un véritable aimant à problèmes. Puis, sa maturité, son courage, sa beauté vous explosaient à la figure en un tourbillon passionné et apeuré. Car oui, Juan restait un adolescent malade et tourmenté, terrifié malgré sa nonchalance millimétrée.

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