Épilogue

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«Vendredi 8 septembre»

;«11h13»;


LES INSECTES VIBRIONNAIENT en un grésillement familier, bruyant. La forêt bruissait, frémissante, murmurant aux oiseaux une invitation bienveillante, cordiale. Les moustiques bourdonnaient faiblement, l'air était chaud et agité, un ciel clairsemé et lumineux inondait une bâtisse en forme de grand U, grisâtre et inchangé. Fière, une cabine téléphonique à l'aspect suranné défiait le soleil ; sa carcasse métallique miroitait, ses vitres en plexiglas fêlées étaient gribouillées, un parpaing maintenait la porte entrebâillée : Saint-Charles.

Une cigarette accrochée à ses lèvres pourpres, l'amertume noyant ses prunelles affolées, Alexis jeta à son ancien établissement un regard où désarroi et courage se disputaient vaillamment la place. Ses traits s'étaient affinés, ses pommettes étaient marquées, délicates, et ses cheveux platinés avaient légèrement poussé. Une beauté nordique, juvénile et rafraîchissante. Néanmoins, Alexis Plaino restait Alexis Plaino, avec ses Docs Martens jaunes, ses lunettes rondes et brillantes, un t-shirt à l'effigie de Breaking Bad engloutissant son buste et surplombant un short bouffant.

— C'est la dernière fois, souffla Camille Roy. Je ne veux plus jamais mettre les pieds ici. C'est trop difficile.

Chevelure désordonnée, blonde, prunelles vertes et tourmentées, une nuée rouillée parsemant ses joues, Camille offrit à Alexis un sourire crispé, douloureux. Coincé sous son aisselle, un thermos rouge où s'étalait le fameux autocollant : Dory, écartant ses nageoires jaunes et souriant largement.

— Ce sera rapide, promit Ariel Muller, fébrile. Ensuite, on récupère Juan et on s'en va.

Ariel, blême, observait pensivement Saint-Charles. Il en avait fait, des conneries, avant de débarquer ici. Mais ici, il avait rencontré Camille, Alexis, Mathis, et il s'était brusquement calmé : cet endroit, atypique, qu'il avait détesté à son arrivée, l'avait finalement charmé. Ici, il avait rigolé, pleuré, hurlé, aimé. Il abhorrait, adorait, admirait cet endroit. Une main frôlant mécaniquement l'arête de son nez, Ariel secoua la tête : ce sera rapide.

;«11h35»;

L'endroit au Camélia était intact : une dalle bétonnée affreuse, un ruisseau sanglotant à ses pieds, un Camélia embrasant la forêt, ardent, sa chaise en plastique verte, renversée sur le sol, une cravate hérisson abîmée maladroitement nouée à l'accoudoir. Ariel ramassa délicatement la chaise, tremblant, et Camille le rejoignit, dévissant aisément son thermos, Alexis ravalant ses larmes à ses côtés. Leur ancestrale radio, également présente, beuglait R U Mine, du groupe Arctic Monkeys.

— Pour Mathis, murmura le blond, et il s'envoya une longue rasade de café au whisky, livide.

Alexis saisit prestement le thermos scintillant, imita son ami en grimaçant, dégoûtée, et tout en déglutissant bruyamment, lança la bouteille métallisée à Ariel. Il n'hésita pas, pas cette fois. Le liquide, écœurant, claqua contre ses dents, titillant sa langue endiablée et brûlant son œsophage récalcitrant, lui arrachant une moue clairement répugnée. Puis, il posa délicatement le thermos et embrassa Camille Roy, ses lèvres se moulant aux siennes en un baiser enflammé, fougueux. Derrière eux, Alexis susurra une unique phrase, un léger sourire dansant sur ses lèvres purpurines :

— L'imprévu lui va si bien.

FIN.


corrigé — 16/03/2017.

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