Un enterrement, un frère et un adieu

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«Lundi 20 février»

;«10h32»;

L'AIR ÉTAIT FROID, vivifiant. Une brise, aigre et acérée, mordillait la peau de Carl Rousseau, fouettait sa chevelure crépue et gonflait sa veste noire ; sa cravate bleutée claquait contre son buste, ses lèvres charnues tremblaient, il était stoïque, le regard hasardeux et les poings serrés. Son épouse, Iris Rousseau, sanglotait bruyamment, humectant ses lèvres purpurines et réprimant un hurlement désemparé, les jambes flageolantes. C'était une très jolie femme, un collant opaque et scintillant soulignait ses jambes fuselées, une robe trapèze embrassait la galbe de son corps, une pince à cheveux corail illuminait sa chevelure ténébreuse ; néanmoins, un désarroi déchirant engloutissait ses orbes chocolatées.

Camille ne pleurait plus, deux cernes violacées ternissant ses prunelles vertes, Ariel reniflant à ses côtés, leurs doigts douloureusement et désespérément emmêlées. La fermeture du cercueil avait été un instant insupportable, inexplicable ; Iris s'était littéralement écroulée, ses poings tambourinant sur le sol et son mari la ceinturant mollement, éploré. Alexis avait explosé, vulgaire et enflammée, le visage détrempée et la respiration saccadée. Ariel avait insulté le maître de cérémonie, furieux, larmoyant, et Camille l'avait traîné à l'extérieur pour le calmer, décontenancé.

Un ciel clairsemé, ensoleillé, inondait le cimetière où un cercueil en chêne disparaissait tragiquement. Grand-mère, grand-père, tantes, oncles, cousins, amis, parents ; ils étaient là, silencieux, tableau attristé et haineux, noir et anthracite, terne et abîmé. Puis, une exclamation, surprise et colérique. Alexis, crispée, observait un jeune homme, Carl Rousseau le toisant férocement. Teint basané, boucles denses et indomptables, nez en flèche, muscles noueux, ses joues mal rasées accentuant son air maussade et renfrogné, il ressemblait vaguement à Mathis.

— Qu'est-ce qu'il fout là, ce crétin ? Grinça Alexis, blême.

— Tu le connais ? L'interrogea Camille.

Les lèvres pincées, Alexis hésita longuement, ses orbes cristallines fusillaient le nouvel arrivant, ses doigts, aériens, se fourvoyaient dans les plis de sa robe, elle était étonnamment nerveuse.

— C'est le frère de Mathis.

Révélation chaotique, désemparé, tumultueuse, Camille jeta à Ariel une œillade affolée, et il eut un rire jaune. Juan aussi était là, sa bouteille d'oxygène haussée sur ses frêles épaules froissant sa chemise immaculée, une cravate jaune à motif plumes brisant la monotonie de son funeste costume. Secoué d'une violente quinte de toux, livide, appuyé contre l'écorce d'un arbre centenaire, le garçon semblait éreinté ; une fillette surexcitée lui murmurait quelques paroles apaisantes.

— Mathis n'a pas de frère, cracha Camille, et il avait recouvré ce ton glacial, détestable.

Alexis ne l'écoutait plus, son visage exsangue et ses lèvres frémissantes trahissant son énervement. Une main rasant furieusement son crâne, la jeune femme bouscula Ariel en jurant, sa robe cinglant ses cuisses et ses ballerines martyrisant l'asphalte. Médusés, Carl et Iris Rousseau n'esquissèrent pas le moindre geste lorsque la jeune femme saisit le frère de Mathis par le col de son t-shirt, furibonde.

— Tu n'as rien à faire ici, Adam, s'insurgea Alexis. Mathis te haïssait ! Il te haïssait...

Un sourire sibyllin caressa les lèvres pulpeuses et irisées du dénommé Adam, sa nonchalance suintant le mépris et sa négligence inspirant l'agacement. Il empestait le tabac. Incontestablement charismatique, l'homme à la peau caramélisée secoua la tête, sa langue épongeant un soupir exaspéré.

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