Sapphire Immortality

III- Poison

    Je claque violemment la porte de la cuisine renversant au passage un plateau sur lequel reposait le diner d'une tierce personne. La vaisselle explose au sol alors que les couverts rebondissent sur les dalles dans un affreux tintement. Je ne peux pas y croire et pourtant j'en ai eu la preuve sous les yeux. Mais il faut que je la voie. Je veux savoir pourquoi elle m'a trahie. Je dois comprendre.

    Des servants s'empressent d'accourir dans ma direction alertés par le vacarme. Mais je ne m'en préoccupe pas. Ils s'affairent à ramasser les dégâts que je viens de causer et je ne les aide même pas. Ce n'est pas dans mes habitudes mais tout change. Je parcours rapidement la salle du regard à la recherche d'une personne précise. Mais nulle part je ne vois sa chevelure brune. Non il n'y a que des plans de travail pour éplucher les légumes et une douce odeur de produits ménagers ainsi que de plats qui couvent sur le feu.

- Où est Annabella ? écumais-je littéralement de rage.

- Mais enfin Mademoiselle... bégaie un des commis terrifié par mon air sombre.

    Je le foudroie instantanément de mes yeux bleus le faisant cesser tout mouvement. Une mèche de cheveux lui tombe sur le front mais il n'ose même pas la remettre en place. Il déglutit difficilement alors que je l'examine.

- Je ne compte pas me répéter où est-elle ? repris-je plus calmement mais froidement en m'avançant vers lui.

    Atterré il me pointe d'une main tremblante une direction. Il ne veut pas me contrarier. Il ne s'y risquera pas, je ne suis peut-être pas la maîtresse de maison mais il tient à son poste. Il vendrait père et mère pour le conserver. Quand je passe près de lui pour le dépasser j'époussette une poussière invisible sur son uniforme blanc et lui chuchote :

- Ce n'était tout de même pas si compliqué tu vois ?

    Le reste des serviteurs s'écartent de mon chemin. Ils ne savent pas comment composer avec cette nouvelle attitude que j'adopte. La colère suinte par tous les pores de ma peau. Je discerne aisément qu'ils me prennent pour un monstre. Et le pire c'est que je crois qu'ils ont raison. Après tout on dit bien telle mère telle fille non ?

    Amère je me poste finalement dans le dos de celle que je cherchais après avoir suivi les indications de l'apprenti cuisinier. Elle est enfermée dans sa propre bulle et n'a même pas conscience de ce qui se trame dans les coulisses juste derrière elle. Elle chantonne en remuant une longue cuillère en bois dans une casserole qui mijote à petit feu. De son chignon lâche quelques mèches s'échappent et elle les glisse d'une main experte derrière son oreille. Elle a l'air d'avoir l'esprit tranquille. Nullement inquiétée concernant ce qu'elle a fait, ce qu'elle m'a fait.

- Annabella, grognais-je en frappant du plat de la main juste à côté d'elle sur le comptoir.

    La jeune servante sursaute et renverse un peu de son plat. Elle se détourne de sa tâche pour me confronter. Mais elle n'ose pas me faire totalement face. Elle garde ses yeux résolument baissés. Signe indéniable de sa trahison.

- Lucy... souffle-t-elle d'une voix affectée.

- Comment as-tu pu ? l'attaquais-je sans préambule aveuglée par ma colère et ma peine. Je croyais pouvoir te faire confiance ! Tu sais ce que j'ai vécu et pourtant tu n'as pas hésité. Est-ce que tu as eu mal de me planter un couteau dans le dos comme tu viens de le faire ?

    Annabella semble figée, comme si le temps s'était arrêté et je la vois serrer plus fort sa cuillère. Ses mains blanchissent sous la pression. Elle est agitée mais ose à peine respirer.

- Dis-moi si au moins tu as quelques remords ! continuais-je de l'apostropher.

- Je n'avais pas le choix, me confie celle que je croyais fidèle, mon amie.