V- Lui

112 16 4
                                    

  Le doux bruissement des feuilles qui volent. Le calme de la nature. La brise qui fait voleter ma longue chevelure. Groggy je me passe la main sur mon front en soupirant de lassitude. Mes membres sont ankylosés. Je suis affamée. Epuisée. Déshydratée. Et très probablement perdue. Au bord de la crise de nerf. Je suis larguée, je ne sais pas quoi faire. Jamais au grand jamais je n'ai été confrontée même dans mes rêves à une telle situation.

    Calée contre le creux d'un chêne massif. Roulée en boule dans l'espoir fou de conserver un peu de ma chaleur corporelle face au froid ardent de la nuit qui s'insinue jusque dans ma chair. Piques glacés. Morsure brûlante. J'aurais pu allumer un feu cela m'éviterait de mourir transie de froid. Mais après l'incendie je ne m'en sentais pas la force. L'épouvante coule encore dans mes veines. Je crains de voir cette rougeur écarlate me lécher les mains.

    Affaiblie je me suis mise à somnoler. Je ne pouvais pas me permettre de dormir sur mes deux oreilles. Plus maintenant. Qui sait ce qui traîne dehors ? Tapi dans l'obscurité ? Quels démons ? Je ne peux compter que sur moi-même. Enfin ça ça ne change pas bien comparé à avant.

    Les yeux clos, la respiration sifflante je frémis. Pas à cause de l'air glacial. Non chaque fibre de mon corps cherche à me faire passer un message : je suis surveillée. J'entrouvre lentement mes paupières à l'affût d'un indice. Un long frisson de peur me secoue. Juste quelques heures je voudrais avoir ce répit que je cherche tant. Pourquoi ne puis-je pas toucher du bout des doigts le bonheur ou le repos ? Mon esprit et mon corps sont à bout. Vieux avant l'heure. Roués par les coups durs de la vie.

    Mais le clair de lune ne m'offre pas une grande visibilité et je ne distingue rien. Hormis cette impression persistante d'être observée. C'est alors que je le remarque. Le chant des cigales a cessé. La cause ? Un prédateur. Et je redoute d'en être la proie. Je me suis terrée un peu plus profond contre mon arbre comme si ce dernier pouvait m'engloutir et me soustraire à cette nouvelle menace. Cela n'arriva pas.

    En revanche je les vois enfin. Des yeux verts vifs. Doués d'intelligence. Deux orbes d'animaux. Des pupilles de félins. Deux paires de yeux qui me fixent nullement gênées par la noirceur ambiante. Je jure entre mes dents. J'aurais pu réciter un sort. Probablement. Mais lequel ? Et surtout à quel prix ? Mentalement je me repasse les cours enseignés par Nana. Mais je ne trouve rien. Pas de sortilège pour se débarrasser d'une bête qui semble avoir une furieuse envie de vous dévorer histoire de voir si vous avez le même goût qu'une biche. A vrai dire je ne suis pas plus étonnée que ça. Mes connaissances magiques sont assez limitées. Car je suis incapable de me maîtriser. La magie nécessite un certain self contrôle que je n'ai pas. Et sans doutes que je ne parviendrais jamais réellement à l'obtenir. Mes pouvoirs sont plus puissants que moi. Ce sont eux qui font la loi. Je ne suis qu'un réceptacle entre leurs mains avides. Un vulgaire fétu de paille qui risque de s'embraser face à sa propre puissance.

    Tout simplement parce que je suis une sorcière instable. Le plus grand danger qu'il puisse exister pour le Monde et probablement pour moi-même. Aucun remède. Juste une bombe à retardement qui risque de tout dévaster sur son passage. Une erreur de la nature. Rien de plus rien de moins. Même parmi ma propre espèce je serais une paria. Ma place n'est pas auprès des sorcières. Et je ne suis pas tout à fait humaine non plus...

    Un rugissement féroce fend soudainement l'air figeant mes pensées dans un cocon de frayeur. Mais grâce à une éclaircie dans le ciel je la vois. Cette masse sombre qui fond sur moi. Prête à ne faire qu'une bouchée de moi. Prête à m'anéantir sans autres formes de procès.

    Une panthère noire sublime si elle ne signifiait pas ma mort prochaine...

    Je me remets prestement sur pieds peu encline à me laisser déchiqueter sans réagir. Ce n'est pas parce que je ne peux pas compter sur ma magie que je vais lui faciliter la tâche. Si elle veut me manger elle devra bien s'accrocher. Parce que je compte bien me battre jusqu'au bout pour protéger ma liberté. Je ne suis pas parvenue aussi loin pour terminer dans l'estomac d'une panthère ! Je me saisis d'une grosse branche d'arbre que j'avais ramassé en chemin. Une arme de fortune. Mais c'est mieux que rien. Et parfois il suffit d'un petit rien pour renverser la tendance et transformer une situation désespérée en opportunité.

Sapphire ImmortalityWhere stories live. Discover now