IV- Ecarlate

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    Bouleversée et le cœur au bord des lèvres je dû faire appel à toute la volonté que j'avais accumulé depuis ce tragique épisode de ma vie. A ma détermination. Et à ma haine. Pas pour chasser ces souvenirs qui étaient imprégnés jusque dans ma chair. Non, pour m'en nourrir et passer à l'acte. J'ignore pourquoi mais tout commence à déraper. Tout s'enchaîne à une vitesse hallucinante. Depuis l'arrivée de ce lord Alexander ma vie prend un nouveau tournant. Hors de question de m'attarder ici pour découvrir ce qui arrivera.

    Je me hâte dans les couloirs lugubres de cette bâtisse qui aurait pu être ma maison. Mon chez moi. Ce lieu unique où rien ne peut nous atteindre. Au lieu de ça ce n'est qu'une ruine qui tient à peine debout. Une demeure oubliée de tous et hantée par le mal.

    Si on regarde de plus près la douce illusion se dissipe. Les tapis pourpres sont effilochés et les murs craquelés. Je traverse de multiples pièces sans un regard en arrière. Ne pas ralentir. Ne pas réfléchir. Mes sentiments et mes émotions ne doivent pas interférer avec mon désir, mon besoin de justice.

    Le savez-vous mère ? Cette douce enfant naïve et stupide n'est pas aussi gentille que vous le croyez. L'art de la manipulation et du double jeu je le tiens de vous.

    Je me faufile dans la bibliothèque en veillant à ne pas être repérée. Je m'attable immédiatement au bureau et sors du papier à lettre ainsi qu'une plume de l'un des tiroirs. L'odeur des feuilles et de l'encre imprègne instantanément l'air, comme un délicieux parfum envoûtant pour les amoureux de la lecture. Je trempe la plume dans l'encrier et de mon écriture soigneusement calligraphiée je rédige une courte missive. Quelques mots qui vont faire pencher la balance de mon côté. Un simple bout de papier aux premiers abords mais en réalité il s'agit de ma porte de sortie, de mon échappatoire pour tout recommencer.

    Plutôt fière de moi, je roule le pli et y appose le sceau de ma demeure. Celui des Farells. Notre marque. En quelques enjambées je me précipite vers l'une des fenêtres de l'autre côté de la pièce et force de tout mon poids pour déverrouiller le loquet et ouvrir en grand les deux battants. La brise charriant des odeurs de printemps, de muguets et de rose s'enroule autour des flammes de la cheminée et éteint le feu bienveillant. Me laissant là glacée dans cette pièce qui m'a vu grandir.

    Je retire prestement la chevalière à mon doigt et coince ma lettre à l'intérieur peu désireuse d'ouvrir mon cœur à la mélancolie. Protégé dans l'encolure de ma robe bleue océan que j'ai revêtue pour la journée, je sors un long sifflet en métal dont la fraîcheur est agréable sous mes doigts. Je le porte à ma bouche et égrène quelques notes comme un doux sifflement puis patiente. A cran, tendue je pianote du bout des doigts sur le rebord de la fenêtre. L'adrénaline parcourt mon organisme à une telle vitesse que la tête m'en tourne, comme une droguée qui serait en manque. Ce sentiment de plénitude. Indescriptible.

    Et puis le délicat bruissement d'ailes qui m'interrompt dans ma rêverie. Le chant d'un oiseau. Une colombe blanche se pose avec grâce près de mes mains en repliant ses ailes avec précaution. De ses yeux sombres qui ne reflètent pas la lumière, elle m'observe. Je me suis toujours demandée ce qu'elle pouvait voir. Si elle pouvait percer mes secrets. Si elle avait la moindre idée de ce que je représente. Mais cette fois encore je préfère ne pas le découvrir. Au lieu de ça je m'empresse de lui attacher à la patte mon pli et siffle de nouveau dans le collier pour lui donner ses instructions concernant sa destination.

    Elle penche la tête sur le côté soudain très attentive, lâche un petit cri et s'envole en laissant quelques plumes clairs de son passage. Vite je ferme la fenêtre et m'en éloigne.

    Mon cœur bat la chamade. Mes mains tremblent. Mais je ne recule pas. Il n'est plus temps de faire marche arrière. Au fond de moi je sais que j'ai toujours redouté ce moment. Celui où je terminerais de réduire à néant ce qu'il reste de ma famille. Parce que je me sens coupable de la mort de Katherina. Ma mère est celle qui lui a arraché la vie. Mais je suis autant responsable de ce désastre, si seulement je n'étais pas tombée ce jour-là elle serait probablement encore vivante. Et ma mère ne serait pas devenue un être exécrable qui ne respire que pour le pouvoir, le complot et la domination.

Sapphire ImmortalityTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon