VIII- Tatouages

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   La déflagration a été si violente que même les barreaux censés retenir la magie ont été affectés. Le fer a chauffé si brutalement que le gris métallique s'est veiné de rouge flamme. Comme si du magma en fusion parcourait à présent toute la structure de ma prison. Un piège à sorcière.

    Le modeste couffin qui meublait la prison a été réduit à l'état de cendres grisâtres dispersées aux quatre coins. L'impulsion électro-magique que j'ai dégagé a projeté mes spectateurs non désirés au loin tels de vulgaires fétus de pailles. Comme s'ils n'avaient rien pesé. Et encore le choc avait grandement été amoindrit par ma prison qui avait absorbé ma magie comme un glouton affamé.

    Et moi ? Je me trouve au centre de ce désastre les jambes flageolantes et les membres parcourus de spasmes réguliers. Rayonnant comme un minuscule soleil. L'aura chargée de ma puissance. De l'argent teinté de reflets turquoise. Mes plaies infectées ont guéri comme un miracle inattendu. Ma fièvre n'est plus qu'un pénible souvenir. Tout a changé en une fraction de seconde. Ce qui tenait debout est en miette et ce qui était abîmé est réparé.

    Essoufflée et pantoise. Je suis pourtant indemne. Plus une égratignure. Plus de souffrance. Juste un vide immense. Comme si je venais de perdre une partie de moi. Une partie qui ne me serait jamais rendue. Envolée. A jamais. Un profond désespoir. Un gouffre dans ma poitrine. Et je sais que je devrais continuer à lutter pour ne pas le laisser m'engloutir.

    Hébétée je regarde longtemps le carnage que j'ai commis, sans complètement réaliser. Je suis responsable. J'ai fait ça. Et je ne le voulais pas. Si je n'avais pas été pas enfermée dans cette prison les dégâts auraient été cataclysmiques. Chaque crise est pire que la précédente. Je viens tout juste de le réaliser.

    Je suis un monstre. Une erreur de la nature. Pas de doutes là-dessus.

    Cette fois encore j'ai eu de la chance. Pas de victime. Pas encore. Mais pour combien de temps ? Et si la prochaine fois était pire ? Et si cette fois je causais la mort ? Mes espoirs. Mes rêves. Eux aussi ils ont été emportés par ma magie. Je ne pourrais jamais avoir la vie que je veux. Par égoïsme je condamnerais trop de personnes. Je ne peux pas me le permettre. Je ne peux pas imaginer priver des familles de leurs membres. Je ne peux pas envisager de séparer des êtres qui s'aiment. De tuer des sœurs. De leur infliger le même calvaire qui me tourmente. Même au-delà de ces barreaux aucune vie ne m'attend. Pas tant que je n'aurais pas trouvé une solution à ce qui empoisonne mon sang. A cette magie qui coule dans mes veines et qui risque de me condamner.

- Lucy ? m'interpelle Alexander d'une voix hachée en proie à des questions qui doivent lui faire tourner la tête. Tu...

    Il n'ose pas terminer sa phrase. Comme si cela pouvait encore blesser des gens. Comme si le fait de le dire à haute voix pouvait déclencher une nouvelle crise. Si je suis choquée, lui est dans un état encore pire. Il semble subjugué.

- Oui, finis-je par reconnaître acculée et obligée de l'admettre. C'est moi qui vient de faire ça.

    Une lueur d'espoir éteinte en moi et une qui naît en lui.

- Tu aurais pu nous tuer, affirme-t-il en recouvrant son calme.

- Mais vous êtes toujours vivant, tempérais-je en plongeant mon regard dans le sien.

    Il se relève lentement avec précaution comme incertain d'être toujours en vie. Il a protégé Lizzie en la plaquant au sol et en la serrant dans ses bras. Il hausse les sourcils à mon intention m'enjoignant à lui expliquer. Et je devrais probablement. Mais je ne sais pas quoi lui dire. Les mots refusent de sortir. Je ne sais pas comment avouer la vérité. Ou comment inventer un mensonge.

Sapphire ImmortalityOù les histoires vivent. Découvrez maintenant