IX- Eau de larme, eau de bain et folie

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    La vie n'a rien de simple, ni de facile. En réalité elle me fait plus l'effet d'un ciel. Parfois clair. Parfois sombre. Souvent nuageux. Quelquefois ensoleillé. Le problème c'est qu'à force de ne voir que la pluie on oublie que le soleil est toujours là. Qu'il existe. Qu'il est à portée de main, seulement caché.

    Et distillé dans mon corps et dans mon âme ne reste que le vague souvenir fugace d'un temps heureux. Comme une illusion. Délavée. Inutile. Juste la douleur au creux du cœur de ce que je n'aurais plus jamais.

    Il y a tellement de temps que je suis bloquée dans cette tempête de noirceur. Face à ce ciel sans soleil. Je ne me souviens plus du bonheur. Je ne ressens plus sa chaleur. Je croyais l'avoir retrouvé durant ma course pour fuir ma demeure. Mais à peine son goût se propageait-il dans mon cœur que déjà je perdais tout ce dont je rêvais. A présent il ne me reste que des éclats d'un espoir desséché.

    Alexander m'a fait sortir de prison. La porte a coulissé lentement sur ses gongs et j'ai été libérée. Cruelle désespoir. Je suis retenue captive d'une manière plus abominable encore que ces barreaux de fer forgé. Parce que cette fois il est impossible d'y échapper. De la magie. Un sort si ancien que j'ai toujours cru qu'il avait disparu de la nature. Pourtant il est là. Incrusté dans ma peau. Dans ma chair.

    Et alors que j'avance prudemment de quelques pas pour rejoindre mon geôlier, je ne suis plus qu'une âme abattue. Je pourrais me sauver. Parcourir des millions de kilomètres. Mon tatouage ne s'effacera jamais. Où que je me terre désormais tout me ramènera à lui. Cet homme que je hais mais qui peut d'un mot me forcer à outrepasser mes propres limites, à commettre des actes qui me révulse même en pensées. Si facile pour lui. Si dévastateur pour moi.

- Suis-moi, se contente-t- il de me dire alors que je me poste à ses côtés devant l'air effaré de Lizzie.

    Elle a tout vu. Elle est le témoin d'une scène unique. Horrifiante. Et je sais qu'elle s'est interposée. Je sais qu'elle a tenté de l'en empêcher. Mais elle a échoué. Et pourtant comment pourrais-je l'en blâmer ?

- Comme si j'avais le choix, soufflais-je acerbe en lui emboitant le pas.

    Mais une petite main me retient. De toute ses forces. Je me retourne à peine pour la voir du coin de l'œil. Je sais déjà que c'est Lizzie.

- Lucy... Tu ne dois pas, cherche à me prévenir Lizzie avant d'être brutalement tirée en arrière par Alexander qui lui intime de se taire.

    Contre quoi veut-elle me mettre en garde ? Que comprend-t-elle réellement de la situation ?

- Laisse-la parler je crois que tu t'es personnellement assuré que je ne représente plus la moindre menace, le rabrouais-je fermement détestant qu'il bride la petite de cette manière.

- Et toi tu ne m'as certainement pas facilité la tâche, réplique-t-il exaspéré que je lui fasse encore perdre du temps en bavardage qu'il doit estimer inutile et futile.

- Juste une question, quémandais-je en ne le quittant pas des yeux. Comment as-tu pu jeter ce sort ? Tu n'es pas un sorcier.

- C'est vrai, admit-il en soupirant mais visiblement prêt à me répondre. Mais tous vos sorts ne vous sont pas réservés. Les sorcières ont créé les changelins il y a longtemps. Nous devions être vos gardes du corps. Vos protecteurs. Mais le lien qui unissait les deux espèces s'est estompé par votre faute. Nous n'étions que des armes, des objets à vos yeux. Alors nos chemins se sont séparés. Mais la magie coule dans nos veines. Grâce à vous. Et c'est le seul sort que nous vous avons volé. Le seul qui assure notre survie. Celui qui consiste à vous contrôler. La créature qui commande le maître quelle ironie non ?

Sapphire ImmortalityWhere stories live. Discover now