Jeudi 18 octobre : 20h12

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Sur place, je jette un coup d'œil à la salle. Il y a du monde, ici. Les lycéens s'entassent, s'enlacent, s'embrassent et disparaissent derrière un groupe d'amis. Ils rient, les lèvres étirées en un grand sourire. Une musique forte résonne dans l'air. Les battements de mon cœur se calent au rythme des vibrations de cette dernière. Des néons bleus et rouges s'alternent, illuminant la pièce. Dans un coin de celle-ci, il y a un buffet, rempli de bouteilles et de biscuits apéritifs. Rosalie se met à danser avec Lisa. Margot m'invite à danser et je la suis. Elle me fait tourner, et je ferme les yeux. Je vis. Pleinement. Je laisse la musique rythmer mes mouvements. Je laisse les néons éclairer ma peau d'une belle lueur. Je souris. Je ris de Lisa qui manque de tomber. Je ne veux pas seulement exister. Je veux vivre. Je ne veux pas être l'objet de changements. Je veux être la cause de ce changement. Je ne veux pas voir le monde tourner. Je veux le faire tourner.

Après avoir dansé, je commence à avoir chaud et j'ai l'impression d'être complètement déshydratée. Je me dirige donc vers le buffet, me remplissant un verre d'eau. Un garçon me fixe du regard. Je ne le connais pas. Ses cheveux blonds lui tombent sur le front. Ses yeux bruns, foncés, fixent mon verre. Il demande en montrant d'un geste de menton mon verre :

- Tu ne bois pas d'alcool ?

- Non. Si j'en bois, je risque de ne pas vraiment profiter de cet instant.

Il boit un peu, m'observant bizarrement. Je hausse les épaules, avant de sortir sur le balcon pour prendre l'air. La rue est encore animée malgré l'heure tardive. J'entends des éclats de rire provenant du bar juste en face. L'air frôle ma peau, la rafraîchissant. Les lumières vespérales de la rue donnent un air mystérieux à l'endroit. Quelques voitures roulent, crissant des pneus par intervalles réguliers. Alors que la nuit enfile son manteau et que le ciel se couvre d'étoiles, le silence m'a effrayée. Des pensées que j'aurais préféré jeter à la mer se sont à nouveau faufilées dans mon esprit, le frappant de toutes leurs forces. Sur le balcon de cet immeuble, j'assiste à la marée haute de mon esprit. Je sens la fatigue et la tristesse se resserrer autour de mon cœur. Mes bras tombent le long de mon corps, lâchant le verre que je tenais en main. L'eau s'éparpille par terre, mouillant mes pieds. Malgré tous mes efforts pour l'oublier, la source de mes angoisses est encore là. IL est toujours là. Une blessure dans le cœur qui refuse de s'en aller. Entre l'amour et l'amitié, il n'y a qu'un pas, qu'une ligne. Et cette ligne est remplie de tristesse.

Le ciel gronde. Il se met à pleuvoir, comme pour accompagner le sentiment de mélancolie coincé au fond de ma poitrine. Quelqu'un arrive, m'interrompant :

- Il fait un sale temps, pas vrai ?

Je ne réponds pas. Je ne reconnais pas la voix. Je regarde discrètement à ma gauche pour observer la personne qui est venu me rejoindre. C'est Romain. Il porte une cigarette à ses lèvres, crachant une salve de fumée. Je fixe le vide, sous mes pieds, sans savoir quoi faire, ni quoi dire.

- Qu'est-ce que tu fais ici, toute seule ? Interroge une nouvelle fois Romain, de sa voix suave.

J'essuie au plus vite mes yeux pour enlever les larmes qui commençaient à se loger, puis je me retourne, souriante.

- Je venais prendre l'air.

- C'est vrai que c'est mieux d'être ici, que de se retrouver dans une pièce, enfermé avec quarante personnes autour qui se collent à toi.

Il s'approche, se plaçant à côté de moi. Romain observe la rue. J'aime bien le bruit du clapotement de l'eau contre le trottoir. Je réplique :

- Ce n'est pas si terrible, les soirées comme celle-ci. Tu peux, disons profiter de ton adolescence. C'est plutôt sympa, en y repensant.

- Mais tellement puéril.

Je lève les yeux au ciel, argumentant :

- Rien n'est puéril. On appelle cela « vivre pleinement ». Il faut savoir profiter, tu sais...

- Est-ce que je peux considérer cette discussion comme ma première leçon sur la vie ?

- Non, je ris avant d'ajouter : tu auras ta première leçon ailleurs.

- Et où ça ?

- Ne sois pas si curieux.

Il sourit et je baisse les yeux vers le bar en bas, surveillant du coin de l'œil mon ami. Romain expire un nuage de fumée grisâtre, observant le ciel sombre et ses larmes salées. En réalité, je n'avais aucune idée de comment lui apprendre à vivre ni où l'emmener. Je ne suis pas une vraie sage. Je veux dire, je fais ce qui est bon pour moi. Mais comment savoir si ce qui est bon pour moi, l'est pour lui ? Peut-être que le théorème du bonheur rejoint celui-ci. Peut-être que le théorème de la vie n'a pas vraiment de leçons, qu'il faut juste apprendre à se satisfaire de tout.

Romain me coupe dans le torrent de mes pensées, déclarant :

- Comment comptes-tu m'apprendre à vivre ? À l'aide de leçons ?

- Nous ne sommes plus à l'école. Tu apprendras par toi-même.

- Si je dois apprendre par moi-même, je n'ai donc pas besoin de toi ?

- C'est exact.

Il reste incrédule devant mon acquiescement. Pour le rassurer, je murmure suffisamment fort pour qu'il l'entende :

- Je te guiderais, ne t'inquiète pas.

Il hoche la tête, visiblement soulagé. Romain ajoute :

- En échange de ton aide envers ma personne pessimiste, je veux t'aider.

- Je n'ai pas besoin d'aide, je réponds, platoniquement.

Il rit, comme si ce que je venais de dire était stupide. Il jette sa cigarette par terre, l'écrasant de son talon. Romain fourre ensuite ses mains dans ses poches, continuant d'observer la pluie ruisseler sur les toits de la ville.

- Tu es là, complètement seule sur ce balcon à observer la pluie. Je t'ai vu verser une larme. Ne me dis pas que tu n'as pas besoin d'être aidée.

Je n'ai pas le temps d'argumenter, puisqu'une fille, brune et visiblement plus âgée que moi, s'avance vers nous. Elle est d'une beauté remarquable. La fille fait un grand sourire, avant de se coller à Romain. Un parfum fort, composé d'un mélange d'agrumes et de fleurs vient embuer mes narines. La fille chuchote d'une voix douce :

- Qui est-ce Rominou ?

- Arg... Je hais que tu me surnommes comme ça ! Je te l'ai déjà dit !

La fille glousse pendant qu'il donne une réponse à sa question :

- C'est une amie. Claire, je te présente ma meilleure amie, Emilia.

- Salut ! Je lance.

- Enchantée, dit-elle.

- Je dois aller voir un ami, on se voit plus tard Claire !

Je hoche la tête, continuant de fixer la rue. Emilia reste quelques secondes à m'observer avant de se fondre à nouveau dans la foule. La musique de la salle résonne jusqu'à mes oreilles. Les néons continuent de clignoter. La nuit devient froide. Les étoiles brillent. Et je ferme les yeux. Ici. Seule.

Les songes éternelsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant