Mercredi 17 octobre : 17h53 :

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Mercredi 17 octobre : 17h53 :

Enfin à notre appartement, je dépose la bouteille de lait dans le réfrigérateur. Maman est toujours assise dans le canapé vermeil. Elle n'a donc pas bougé. Je m'installe à ses côtés, veillant à ne pas la déranger. Je remarque assez vite qu'elle s'est endormie, ses paupières sont fermées et son souffle est léger.

- Je suis là, je chuchote inutilement.

Mais Maman ne me répond pas, comme je m'en doutais. Je me relève du canapé, fonçant dans ma chambre. La chanson classique que j'écoutais avant de partir est toujours en train de se jouer. J'arrête mon tourne-disque. L'inspiration n'est toujours pas présente. Aucune illumination ne vient briser mon effroyable méditation silencieuse. Je suis encore une fois bloquée dans mon esprit. Terrible mélancolie. Il n'y a que ses yeux, oui, ceux de ce vendeur qui m'obsèdent. Je tente d'arracher ce souvenir de mon crâne, mais il y reste accroché.
Excédée, je me laisse tomber sur mon lit et ses draps défaits. Peut-être qu'en fixant le plafond albâtre, l'inspiration viendra. Tu rêves, se moque une voix. Je l'ignore. Je ne prétends pas être heureuse. Enfin, je ne prétends pas l'être constamment. Il y a des périodes sombres, comme aujourd'hui. Ces périodes arrivent lorsque je ne parviens pas à placer des mots sur mes maux ou bien des images sur mes sensations. Je ne parviens pas à m'exprimer et cela me rend triste. L'Art n'est malheureusement quelque chose que l'on contrôle. On pense souvent que le créateur ou la créatrice de son art, qu'il ou elle soit poète, écrivain, sculpteur ou encore peintre, est le maître, c'est-à-dire qu'il décide de ses gestes, de ses mots. Sachez que c'est faux. L'artiste se fait parfois posséder par son propre art, ne devenant alors qu'une vulgaire marionnette aux commandes d'une force supérieure. Et je dois dire qu'en cet instant, je ne suis pas une marionnette, mais tout le cirque.

Je souffle, restant un moment à fixer le plafond, à réfléchir à ce que je pourrais peindre, sans succès. Il n'y a que le silence qui m'entoure, jusqu'à ce que celui-ci soit brisé. La sonnerie de mon téléphone s'enclenche et je râle. Quand le nom de Margot apparaît sur l'écran, je lui pardonne de m'embêter dans mon élan de frustration. Le privilège d'une meilleure amie. Je décroche, demandant tout sourire :

- Je parie que c'est pour que je t'aide sur ton devoir de français, que tu as encore fait à la dernière minute parce que tu préférais procrastiner devant Zig et Sharko.

- Hé ! Comment tu as su, Claire ?

- Je te connais, Margot, je me mets à rire.

Elle se joint à mon éclat de rire, avant de déclarer :

- Du coup, demain à huit heures, tu m'aideras ?

- Oui, on aura largement le temps ! Le devoir n'est pas si compliqué tu verras !

- Oh, merci ! Tu sais que tu me sauves là ?

- Je sais, je sais, dis-je en imitant une fausse modestie.

Nous continuons à discuter encore un peu. Elle me parle de son nouveau coup de cœur : Léon. Il est en première d'après ce que j'ai compris. Margot et moi, nous avons donc un an de moins que lui. Un des plus gros défauts de Margot, c'est que lorsqu'elle se met à parler, elle ne s'arrête pas. Dans un sens, cette situation m'arrange : je ne suis pas ce qu'il y a de plus bavarde et sociale au monde. Je ne sais jamais de quoi parler. C'est donc Margot qui me souffle des sujets de conversation. Nous nous complétons bien finalement : elle, la fille sociale et drôle que tout le monde aime, puis moi, la fille discrète et réfléchie. Deux mondes nous séparent. Pourtant, nous sommes sur la même longueur d'onde. C'est la seule qui arrive à m'apaiser quand mes crises bouillonnent.

Les songes éternelsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant