Jeudi 18 octobre : 08H24 :

507 80 26
                                    

Jeudi 18 octobre : 08H24 :

Margot est assise en face de moi, au CDI de notre lycée. Ses cheveux bruns, bouclés, lui tombent au niveau de la clavicule. Ses yeux bronze ont des éclats de couleur or, comme ses pétales que l'on place au-dessus des gâteaux au chocolat dans les grandes pâtisseries. Ses cils sont longs et noirs tels les plumes de corbeau. Sa peau mate, presque sans aucune imperfection est habillée de traits fins et délicats. Elle est magnifique, tout en étant naturelle. Parfois, j'aime penser que Mère Nature la bénit, avan qu'elle naisse ou la choisie comme favorite. Margot n'a pas besoin de maquillage pour être incroyable. Ironiquement, elle ne se trouve pas jolie, et ce à mon plus grand désespoir. J'aime imaginer Margot en tant qu'Aphrodite. En effet, la déesse a de quoi envier mon amie qui fait tomber les cœurs amoureux aussi vite que Cupidon. Ses mots sont des flèches, qui, bien plantés, peuvent donner de l'espoir et faire tomber amoureux ou, au contraire, détruire quelqu'un. Margot souffle :

- Je ne comprends rien ! Ce n'est pas possible ! Pourquoi est-ce si compliqué ?

- Tu as essayé de suivre la méthode ? Je demande.

- Euh...

- C'est ce que je me disais, je ris.

- Oui, mais un artiste ne devrait pas être bloqué dans une sphère de règles ! C'est même toi qui le dis !

- Cela s'applique à l'Art. Pas à ton devoir de français.

Margot lève les yeux au ciel, grimaçant. Elle replonge le nez dans sa copie, les sourcils froncés. Je ne peux m'empêcher de sourire en voyant sa mine boudeuse. Je jette un coup d'œil aux alentours, observant les étagères remplies de livres. Il y a de grands noms comme Emile Zola ou Victor Hugo, mais aussi des noms plus contemporains comme J. K. Rowling ou Marc Lévy. Je fixe les étagères et les rayons qui traversent les fenêtres. Je constate à travers ses rayons de la poussière voler, s'entortiller et faire des cercles. Un peu comme des constellations. Et puis, je divague. J'imagine les constellations à travers ses grains de poussière. J'imagine les étoiles. D'apparence, enfin de là où nous nous trouvons, ce ne sont que des points blancs lumineux. En réalité et d'un point de vue scientifique et principalement astronomique, les étoiles sont tout astre visible, excepté le Soleil et la Lune. Ce sont également des astres producteurs et émetteurs d'énergie. Une étoile est un point brillant dans le ciel, la nuit. De mon point de vue, il s'agit d'un point lumineux contenant les secrets de tous les poètes si ce n'est l'humanité. Combien de fois, j'ai observé les étoiles, murmurant mes secrets ? J'aime bien imaginer les poètes réciter leurs poèmes aux étoiles comme pour les endormir. Puis, ces astres servent parfois à prédire l'avenir, même si ce n'est pas une science très fiable...

Je pense encore aux étoiles et aux constellations que je peux voir de ma fenêtre lorsque Margot me retire de mon labyrinthe sans fin de pensées en agitant sa main devant mon visage. Je cligne des yeux, retrouvant mes esprits. Elle murmure :

- Garçon canon à trois heures qui te fixe.

- Trois heures ?

- À ta gauche, patate.

Je souris, tournant la tête dans la direction qu'elle m'indique. J'aperçois alors le garçon du supermarché. Celui dont je ne sais le nom, si ce n'est qu'il a un badge avec marque dessus « Cindy ». Je me lève, prise d'adrénaline. Je ne sais pas encore pourquoi je fais cela, à ce moment-là. Margot me regarde surprise. Je m'éloigne d'elle tandis que la distance entre le garçon et ma personne se réduit. Il sourit en me voyant m'approcher. Je passe une de mes mèches de cheveux derrière mon oreille. Un tic. Il lance :

- Salut Claire !

- Salut ! Je... Je ne sais pas ton prénom, dis-je, le ton hésitant.

Il repose sur l'étagère le livre qu'il avait dans les mains. J'en lis le titre : « L'écume des jours » de Boris Vian. Je ne l'imaginais pas lire un livre comme celui-ci... A vrai dire, je ne l'imaginais même pas lire tout court.

- Moi, c'est Romain.

Il y a un silence gêné pendant lequel aucun de nous deux n'ose parler. Je ne sais pas parler en public. Je n'ai aucune conversation, comme dit précédemment. J'aurais dû demander à Margot avant d'aller voir Romain quoi dire. Je me mords la lèvre nerveusement, ne sachant comment réagir. Il passe une main dans ses cheveux, lui aussi gêné. Je sens mes joues devenir rouges. Si seulement la vie était aussi facile que de savoir peindre. Je commence à tourner les talons pour m'éviter d'ajouter un instant déplaisant de plus dans ma longue liste des moments les plus gênants de ma vie. Mais, Romain n'est pas de cet avis, et m'attrape le poignet pour me retourner face à lui. Je tressaille à ce contact. Il lâche immédiatement mon poignet et demande d'une voix un peu plus confiante :

- Tu es en quelle classe ? Je ne t'avais jamais vu ici. Pourtant, je suis sure que je ne t'aurais jamais loupé.
- En seconde, et toi ?
- Première.

Je hoche la tête, assimilant l'information dans un coin de mon crâne. Il doit me prendre pour une enfant. Je croise mes bras, sans vraiment savoir quoi en faire. Je finis par les décroiser, terriblement nerveuse, alors qu'il ajoute, le regard perdu dans la salle :

- La vie est triste quand même. Regarde-moi tous ces jeunes, assis, là, espérant obtenir un avenir qui ne leur satisfera peut-être même pas.

Je jette un coup d'œil autour de moi. Je ne suis pas de son avis. Je fronce les sourcils, pendant qu'il poursuit :

- J'ai l'impression de travailler, sans cesse et que rien ne soit suffisant. La vie est vraiment un merdier sans fond.

- Je ne suis pas d'accord, je le coupe.

Il se tourne vers moi, et je me mets à dévisager ses yeux bruns. En les regardant, je découvre qu'ils sont plus clairs que ce que je pensais. Ils sont aussi tâchés de vert, chose à laquelle je n'avais pas faite attention avant. Des cernes profonds marquent le dessous de ses yeux. Et puis, la façon dont il regarde les gens me glace d'effroi. Il y a une certaine mélancolie dans son regard. Une tristesse masquée que peu de gens ne doivent voir. Les yeux sont bien les miroirs de l'âme.

- Pourquoi ?

Sa voix suave me provoque un frisson que je tente de masquer. Je réponds :

- La vie n'est pas si nulle que ça.

- Comment ça ?

- Il y a du bon dans le mauvais, même si le monde pense le contraire. Ce que je veux dire, c'est que, malgré toute la misère que l'on trouve sur Terre, malgré les aléas de la vie, il y a du bien en tout.

- Montre-moi le bon dans le mauvais, dans ce cas.

- Cela risque d'être long à écouter.

- Je suis prêt à t'écouter pourtant.

Tout trace de timidité a disparu, remplacé par un élan de confiance. Romain s'est rapproché. Sous la lumière des rayons de soleil, sa peau me paraît plus mate que dans le supermarché. Je me mets à observer ses grains de beauté, les traces sur le peu de peau que je peux voir sous son pull. Lui aussi me regarde, m'analyse, curieux.
La sonnerie retentit, brisant le silence qui s'était installé. Nos regards se croisent une dernière fois. Pourtant, ce dernier silence n'était pas gênant. Il était agréable. Je n'ai pas eu la boule au ventre. J'avais la sensation... j'avais la sensation d'être à la maison. J'avais envie de lui parler des heures. Et je sais qu'il m'aurait écouter.
Finalement, ne sachant que dire, je m'exclame :

- La suite au prochain épisode dans ce cas ! Je dois y aller !

Il lève les yeux au ciel, souriant, pendant que je me dirige vers Margot qui me fixe intensément. Elle me mime d'un geste qu'elle veut un rapport détaillé. J'attrape mes affaires, les fourrant dans mon sac. Alors, je lui explique la panne d'inspiration, la brique de lait et le supermarché, des yeux marrons nuancés de vert et puis, notre dernier échange.
Peut-être qu'aujourd'hui, je viens de débuter une nouvelle histoire. Pas forcément amoureuse, je veux dire une autre histoire. Est-ce que lui montrer la vie de ma vision d'artiste lui changera ses idées noires ? À quoi bon faire ça ? Qu'est-ce que ça changera ?

Peut-être tout.

Peut-être rien.

Mais, il faut toujours avoir la force d'essayer pour pouvoir, peut-être au final se dire « je l'ai fait ».

Les songes éternelsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant