3. Respiration

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Un objet heurta violemment la tête d'Anna, qui sorti de sa Bulle en sursaut ; son premier réflexe fut de courir dans la salle de bain et de s'examiner dans le miroir. Comme prévu, ses mains, ses bras, son cou et son menton étaient couverts de veines noires ; par chance, ses yeux étaient à présent redevenus verts. Derrière elle, Atara la regardait avec une légère nuance d'inquiétude dans son regard, qu'elle essayait de cacher tant bien que mal avec son habituel sourire narquois.

- Ça va ?, demanda la jeune secrétaire à son amie.

- Oui, souffla cette dernière. Je suis restée combien de temps ?

- Près d'une demi-heure, dit Atara en consultant sa petite montre à gousset. Euh... Tu auras peut-être une bosse sur la tête, ajouta-t-elle avant qu'Anna n'ai pu dire quoi que ce soit.

- Tu m'as balancé quoi dessus cette fois ?

- J'ai essayé de te réveiller en te parlant, puis en te criant dessus, puis je t'ai « légèrement » giflé. Et comme tu ne réagissais pas, il se pourrait que, par tous les hasards du monde, la cafetière se trouvait sur mon passage.

- Tu m'as jeté une cafetière dans la tête ?!, s'insurgea Anna. Mais tu aurais pu me tuer !

- Mais non ! J'ai fait attention ! C'était pour une urgence : il y une femme qui t'attend, je crois qu'elle s'appelle Elisabeth Murdock.

En entendant ce nom, la jeune inspectrice enfila le pull « after-Bubble » ; Atara avait acheté ce pull après un violent réveil d'Anna. Ce jour-là, elle avait son corps entier recouvert de veines noires, du cuir chevelu aux orteils ; de plus, Anna avait un rendez-vous et ne pouvait se montrer ainsi. Le pull était vert militaire et couvrait le haut du cou et les mains de la jeune femme. Il était informe et assez laid, mais il était indispensable pour cacher son secret.

Après avoir remis de l'ordre dans ses cheveux, Anna se rua dans le petit salon, où elle recevait habituellement ces clients potentiels. Une belle femme attendait, assise dans un petit fauteuil, toute de noir vêtu ; elle portait une voilette noire devant ces yeux, comme la tradition le voulait quand une femme issue d'une puissante famille perdait une personne de son entourage. Svelte, blonde, au teint de porcelaine, elle devait très certainement avoir des origines scandinaves, russes ou ukrainiennes. Elle leva la tête dès qu'Anna entra dans la pièce ; cette dernière s'assit poliment dans le siège face à Mrs. Murdock et entama la discussion :

- Toutes mes condoléances, Mrs. Murdock, à vous, votre fille et au reste de votre famille. Vous souhaitiez me voir ?

- Oui, répondit la femme d'une voix teintée de tristesse. Je vous demande d'ouvrir une enquête principale sur la mort de mon mari.

- Une enquête principale ?, répéta Anna, sans comprendre où Mrs. Murdock voulait en venir.

- Je voudrais que l'enquête sur mon mari, et indirectement sur cet ignoble tueur, soit privilégiée auprès de votre cabinet et du service de police.

Anna réfléchit très rapidement : sachant que cette femme était très riche, comme le laissait entendre son petit accent, typique de la haute bourgeoisie, le tarif d'une telle enquête serait incroyable. Mais les principes des inspecteurs refusaient de laisser tomber les autres enquêtes en cours, à part en cas d'extrême nécessité. Or, Anna avait déjà deux enquêtes en cours, la première consistant à surveiller un immeuble du quartier chic, où un homme battait sa femme, mais personne n'avait jamais eu de preuve, et la seconde étant pour la première victime de « Mystery », le député Josh Ford.

- Je suis navrée, dit enfin Anna, je ne pense pas qu'une telle procédure soit possible. Je...

- Fixez un prix, ce n'est pas l'argent qui manque, la coupa Mrs. Murdock.

Cette dernière commençait à pleurer ; la jeune inspectrice fut prise au dépourvu. En voyant de lourdes larmes couler sur les pommettes saillantes de la cliente, elle céda :

- C'est d'accord, soupira la jeune femme. Ma secrétaire prendra toutes vos dépositions. Mais je continuerai les recherches sur la mort de Sir Ford, puisqu'il est concerné par la série de meurtre. Cet accord vous convient-il ?, ajouta Anna.

- C'est parfait, répondit Mrs. Murdock, merci de tout cœur.

Elle leva franchement sa main, afin de sceller leur accord, et Anna, vaincue, se résigna à la serrer. La grande femme se dirigea vers l'accueil, où se trouva le bureau d'Atara, puis se tourna avant de franchir la porte et dit avec l'ombre d'un sourire :

- Je m'étais adressé au poste de police avant de me rendre ici, et sachez que le sergent Myers vous trouve particulièrement incapable. Mais, pour l'instant, ajouta-t-elle en voyant le regard attristé de la jeune femme, je ne pense pas que vous le soyez. Ne me décevez pas.

Elle sortit, emportant avec elle cette odeur de parfum luxueux, qu'Anna n'aimait pas trop. Celle-ci patienta quelques minutes et attendit que le singulier bruit de la porte d'entrée, qui lui indiqua que la cliente avait quitté les lieux ; puis elle se posta devant son amie, occupée à trier les lourds dossiers d'enquêtes.

- Viens, on va faire un tour au commissariat.

Sans un mot de plus, Anna enfila rageusement sa veste, sans même penser à changer de pull, et observa Atara, qui elle-même l'observait, sans pouvoir camoufler son inquiétude.

- Anna, tu n'as pas l'air bien, commença-t-elle calmement. Tu ne veux pas rester ici pour te reposer ?

- Non, je dois toucher deux-trois mots à ce cher Hopper Myers.


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