10. Réunion

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Anna claqua la porte de la voiture bleue d'Enrique. C'était une vieille Audi, qui faisait tâche au milieu de tous ses véhicules à la pointe de la technologie. Enrique se tourna vers elle et lui adressa un immense sourire.

- Petite étoile ! Comme tu as changé ! Tu es tellement jolie, Maman serait fière de toi.

- Ce n'est pas ma mère, dit Anna, mais j'accepte le compliment. Tu as changé aussi ; qu'est-ce que c'est que cette grosse barbe noire ? On dirait un mafieux russe !

Il éclata d'un rire tonitruant. Enrique avait pour habitude de rire à longueur de journée ; dès le matin, il était de bonne humeur, tout le contraire d'Anna, qui se trainait en ronchonnant jusqu'à la cafetière. Quand sa mère s'est éteinte, il était le seul à ne pas pleurer. Il restait optimiste. Il disait qu'un monde meilleur s'ouvrait à elle, qu'il finirait bien par la rejoindre un jour. Enrique était une bouffée d'oxygène pour sa sœur.

Il démarra en trombe et infiltra le trafic londonien. Ils ne pipèrent pas un mot pendant les dix premières minutes. Anna, par sa timidité, n'osait pas parler, de peur de le déranger. Mais elle prit sur elle, et demanda :

- Amandla s'est remis de la mort de sa grand-mère ?

- Anna... soupira Enrique. Tu peux l'appeler « Maman ». Tu as vécu avec notre famille presque toute ta vie. Je suis officiellement ton frère, et elle était officiellement ta mère.

- Ça ne répond pas à ma question.

- Oui, elle va mieux.

Le silence pesant reprit sa place.

- Au fait, repris le jeune homme au bout d'un moment, tu ne veux pas savoir où je t'emmène ?

- Chez un médecin pour les fous.

- Anna ! Arrête !

Il avait dit cela avec une voix autoritaire. C'était si rare qu'Anna sursauta quand elle l'entendit hausser la voix. La jeune femme grommela des excuses et contempla le profil de son frère à travers le reflet de la fenêtre. Ses cheveux noirs comme le jais, sa peau mate, ses yeux de la couleur de l'orage... Il était beau. Pas comme les hommes dans les films ou les magazines, pas comme les fantasmes de toutes les jeunes femmes. Il était beau à sa façon. Son cardigan rouge pétant ne passait pas inaperçu, ses immenses jeans lui donnaient une allure un peu négligée, ses grosses sneakers élimées lui donnait un côté enfantin. Ses yeux demeuraient cernés ; c'était bien le seul point commun qu'il partageait avec sa sœur d'adoption. Tous les deux, ils étaient le jour et la nuit ; le feu et la glace ; Dr Jekyll et Mr Hide. Rien ne pouvait laisser envisager qu'ils étaient officiellement de la même famille. Que ce soit au niveau physique qu'au niveau caractère.

- Ce docteur pour les fous, comme tu dis, se nomme Mr. Quentin Elwood. C'est un français. Il est extrêmement réputé, surtout en France. On raconte que c'est lui qui a diagnostiqué le premier cas de la maladie d'Elwood au monde.

- Tu penses sincèrement qu'il va trouver ce que j'ai ? demanda Anna, plutôt sceptique.

- Je n'en sais rien, je ne suis pas dans sa tête.

Il quitta la route des yeux pendant quelques secondes pour plonger son regard noir dans les yeux verts de la jeune femme. Cette dernière esquissa un léger sourire et posa sa tête sur la vitre gauche de la voiture.

Pendant une vingtaine de minutes, la vieille Audi bleue d'Enrique roulait à travers les rues de Londres. Puis elle s'arrêta devant un grand immeuble. Ou plutôt une ruine d'immeuble. Quand elle sortit de la voiture, Anna étudia d'un œil critique le bâtiment. La peinture ocre se désagrégeai, le mur où était enfoncée la porte était criblé de trous ; il y avait tant de trous dans ce mur qu'un tripophobe pouvait mourir d'une crise d'angoisse. Enrique n'avait pas l'air convaincu non plus. Il jeta un coup d'œil à son portable, afin de vérifier l'adresse, puis annonça, la surprise étant perceptible dans sa voix :

- Bon, je ne me suis pas trompé. C'est bien là.

- Même mon vieil immeuble délabré est plus accueillant, dit Anna en se renfrognant.

Le spectre d'un sourire apparut sur la bouche du trentenaire brun. Il s'effaça rapidement quand il franchit le pas de la porte. Une odeur putride arriva aux narines des deux jeunes gens ; un mélange de chien mouillé, d'urine et de cannabis embaumait le corridor et la cage d'escalier. La première marche couinait, la deuxième grinçait, la troisième tremblait...

- Enrique, je crois que tu t'es trompé de Dr Elwood, dit enfin Anna en arrivant devant la porte du soi-disant docteur.

- Tu en connais beaucoup, des Elwood ? rétorqua vivement Enrique.

La jeune femme toqua à la porte avec une grande réticence. La porte moisie s'ouvrit une demi-seconde après. Le frère et la sœur poussèrent un cri de frayeur à l'unisson. Devant eux se tenait un homme d'une cinquantaine d'années ; il n'était vêtu que d'un marcel de camionneur, d'un caleçon rouge et d'une paire de claquettes grises, couplée avec de hautes chaussettes blanches. Malgré son début de calvitie au début du crâne, ses cheveux blancs étaient fins et ébouriffés ; ses yeux noirs louchaient étrangement. Un vrai fou.

- C'est pourquoi ? grogna l'homme.

Anna se tourna vers son frère ; il regardait l'homme comme si c'était le diable en personne, sa bouche formant un parfait « O ». Il semblait avoir perdu la capacité de parler. Remarquant le mutisme d'Enrique, elle questionna timidement l'homme à l'allure folle :

- Bonjour, nous cherchons le Dr Elwood. Savez-vous où il est ?

A ces mots, les yeux du fou s'agrandirent et un sourire malin se dessina sur son visage. Il se redressa s'un coup et passa une main dans ses cheveux pour les replacer. « Oh non, pensa la jeune femme, ne me dîtes pas que... »

Mais l'homme annonça ce qu'Anna redoutait le plus :

- Quentin Elwood, pour vous servir, my lady.

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NDA (et oui, la première)

Voici un petit chapitre qui ne servira qu'à introduire la suite de l'histoire. Pour tout avouer, je ne comptais pas finir cette histoire : je n'étais pas satisfaite, je la trouve très moyenne, j'ai des choses à régler du côté de ma vie personnelle... Toutefois, une gentille personne m'a beaucoup "remontée le moral" avec ses commentaires positifs. Merci beaucoup pour ce gentil retour, SabineAdler^^

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