12. Célébration

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- mémorio - 


Elle tournait sur elle-même, afin de montrer à son grand-frère que sa robe violette à sequins tournait comme celle d'une princesse. Ce dernier riait tendrement ; il adorait sa sœur plus que tout au monde. Et ce même s'ils ne partageaient pas le même sang.

Le jeune homme enlaça sa jeune sœur et lui murmura à l'oreille :

- Dis-moi, princesse Sarah, qui est ton preux chevalier ?

- Je ne suis pas princesse Sarah, Enrique ! lui répondit-elle de sa jolie voix. Je suis princesse Anna, et le chevalier qui vient me sauver, c'est Sir Hopper.

Enrique la regarda d'un air faussement indigné.

- Et moi, je suis quoi alors ?

- Et bien... Tu peux être le gros méchant roi, si tu veux.

- Tu trouves vraiment que je suis gros ?!

- Mais non, c'est pour rire !

Et elle poussa gentiment son grand frère, qui tomba à la renverse. Il se roulait par terre en riant.

- Non, je suis cuit. La princesse a eu ma peau !

- Mais attends ! Hopper n'est pas encore là !

Il lui attrapa ses petits poignets en poussant un rugissement de dragon et la fit chuter avec lui. Enrique chatouilla le ventre de la petite fille, qui se tordait de rire.

- Enrique ! Anna ! Vos vêtements !

Une belle femme courait vers eux. Elle tentait de faire tenir son imposant et strict chignon sur sa tête ; son tailleur lavande l'empêchait de courir convenablement, tout comme ses hauts talons.

- Madre de Dios ! s'exclama-t-elle. Nous sommes à un mariage, pas dans une porcherie.

Et elle commença à les disputer en espagnol. La petite Anna ne comprenait pas encore cette langue, mais elle voyait Enrique baisser la tête d'un air coupable et marmonner des excuses.

La femme s'approcha d'Anna et entreprit de frotter sa robe couverte de poussière. La petite fille se sentait coupable ; son grand frère se faisait disputer à cause d'elle. Elle baissa la tête et cacha ses yeux verts derrière une cascade de cheveux d'or.

- Mi hija, ne te cache pas, lui murmura tendrement la femme. Que va penser Tante Capucine si tu boudes ?

- Maman, Hopper arrive quand ?

- Je ne sais pas si les Myers viendront. Tu sais, le papa et la maman de Hopper ne s'aiment plus trop, et ils vont se séparer. C'est assez compliqué pour eux, surtout en ce...

- Et toi, tu aimes encore papa ?

Sa mère esquissa un petit sourire et déposa un doux baiser sur la joue ronde de sa fille. Elle plongea ses yeux gris dans l'océan d'émeraudes que lui offrait le regard de la petite fille.

- Bien-sûr que je l'aime. Tu te souviens ce que dit tante Capucine sur nous ? « Alejandra et Marco, toujours le bon duo ! »

Le sourire d'Anna réapparut aussitôt et elle enlaça sa maman dans ses petits bras. Elle embrassa également la joue d'Enrique, qui lui adressa un immense sourire bienveillant.

- Mi hija, va essuyer ton mascara qui coule et rejoins-nous sous le chapiteau.

Avec un hochement de tête qui fit bouger ses longs cheveux blonds, elle courut en direction de la grande maison. Elle poussa la lourde porte et se dirigea vers la salle de bains.

« Viens à moi. »

Surprise, la petite Anna dirigea son regard vers la porte de la salle d'eau ; une voix de stentor, rêche et désagréable, semblait glisser sur le sol et vint se lover dans ses oreilles. Elle regarda autour d'elle, mais ne vit rien d'étrange, ni aucun homme qui pourrait avoir une voix comme cela.

Une fois dans la salle de bain, elle contempla son reflet dans le miroir. Le col brillant de sa robe violette contrastait joliment sur les murs d'un blanc immaculé. L'or de ses cheveux paraissait encore plus précieux que le pendentif en forme de croix chrétienne qu'elle portait autour de son cou ; l'éclat d'émeraude de ses yeux rendait ses boucles d'oreilles en saphir inexistantes. Son visage, fin et angélique, pourrait à lui seul faire sourire le plus malheureux des hommes. Les traces noires du mascara Lancôme de sa maman lui apportait un côté plus réaliste, comme un ange déchu revenu sur Terre.

« Tue pour moi. »

Anna recula d'un grand pas. Quelqu'un l'apostrophait de l'autre côté de cet impeccable miroir. Un homme, assez âgé. La petite fille perçoit de la souffrance dans sa voix.

- Qui est là ? demanda-t-elle, peu rassurée.

« Obéis-moi. »

La voix se faisait de plus en plus insistante. Désormais plus intriguée qu'effrayée, elle tendit la main vers le miroir.

Elle approcha sa main un peu plus.

Puis encore un peu.

A peine sa peau frôla la surface réfléchissante qu'une volute de fumée noire aveugla la petite fille, qui tomba lourdement par terre. Malgré le sang qui battait dans ses tempes, elle put entendre un terrible hurlement désincarné qui lui glaça le sang.

Elle put difficilement apercevoir une chose visqueuse monter le long de son bras. Cette substance noire et glaciale dégoulinait vers sa bouche. Sa texture goudronneuse se collait sur les moindres cellules extérieures de la peau d'Anna. Cette dernière n'eut pas le temps d'hurler d'horreur que la chose noire s'enfouit dans sa bouche entrouverte.

Elle se leva en tremblant, crachotant, en essayant de vomir cette ignoble chose. Sans s'apercevoir que la substance parcourait ses veines, ses muscles, ses organes, la moelle de ses os, les émotions la quittaient.

L'angoisse, la curiosité, l'allégresse d'il y a quelques minutes...

Plus rien.

Seulement du vide. Le néant.

Le miroir ne l'appelait plus. Il demeurait silencieux. La voix rauque ne se faisait plus entendre. Le silence n'était pas réconfortant, ou encore apaisant ; il aurait pu être pesant, angoissant, terrifiant... Mais Anna ne ressentait plus rien.

Elle fixait son reflet. Ses cheveux d'or, sa jolie robe à sequins violets, son visage fin... Deux choses avaient disparu.

Son sourire n'était plus qu'une moue neutre, entre le sourire moqueur et la rictus de colère.

Et ses yeux verts incrustés de paillettes dorés étaient devenus vide. Le même néant que son esprit. Une teinte noire insondable. Le mascara avait encore plus coulé.

Ce n'était plus un ange, pur ou déchu.

C'était un démon, un enfant du Malin.

Sa respiration devint sifflante, elle peinait à respirer convenablement. Quand elle ouvrit sa bouche, sa voix n'était plus chantante et douce ; sa parole devint graveleuse, monotone, gutturale... Ce n'était plus la voix d'une enfant de huit ans.

- Je tuerai pour toi.

BubbleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant