9. Malédiction

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Du noir. Partout.

C'est ce que vit Anna quand elle émergea de son inertie. Elle chercha à se relever, mais une terrible force l'en empêcha ; la jeune femme paniqua et hurla. Mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle leva, avec un effort surhumain, sa main vers sa gorge et sentit sous ses doigts de nombreuses griffures. Son épouvante s'amplifia davantage ; mais que c'était-il passé ? Anna chercha dans les moindres recoins de sa mémoire une réponse, mais rien ne lui revint à l'esprit. Elle entendit des bruits de pas précipités.

- Tu es réveillée ?! Oh doux Jésus ! J'ai eu tellement peur !, scanda une voix.

Anna soupira de soulagement, car elle reconnaissait cette voix. Atara. Cette dernière aida son amie à s'assoir. Anna remarqua qu'elle portait désormais un unique t-shirt blanc, en plus de ses sous-vêtements ; elle était pourtant persuadée de porter un jean et un sweat. Mais que diantre c'était-il passé ?

- At, dis-moi, je ne comprends plus rien...

- Attends-moi, je vais te chercher à manger ; ça fait bien treize heures que tu n'as rien avalé !, dit le jeune femme en sortant rapidement du salon.

Treize heures d'inconscience... Mais pourquoi ? Lentement, Anna se leva et marcha en titubant vers la table, où Atara posait une assiette de riz. Anna se rendit réellement compte qu'elle était affamée et se jeta sur la nourriture.

- Tu m'as foutu une sacré frousse !, soupira Atara.

- Je ne me souviens de rien. Que s'est-il passé ?, demanda Anna entre deux bouchées.

- J'ai entendu du bruit, un hurlement, dans la ruelle et je suis allée au balcon pour voir ce qu'il se passait. C'est là que j'ai vu quelque chose qui était étendue sur le sol. Je me suis donc ruée là-bas, et je t'ai trouvé. Tu étais étendue par terre, dans une flaque d'eau ; tu convulsais, tu marmonnais des trucs sans queue ni tête, tu te griffais le cou et les bras. Et tu avais tes symptômes de Bulle. J'ai donc appelé le concierge et nous t'avons monté.

- Ça explique les griffures... Et ce t-shirt, il vient d'où ?

- Il est à moi. Enfin, pas vraiment, mais bref... j'ai dû te changer, tu étais ruisselante d'eau sale, tes doigts étaient violets.

- Comment ça, ce t-shirt n'est « pas vraiment » à toi ?, dit Anna, suspicieuse.

- C'est un ancien t-shirt à mon ex, tu sais, Jace. A moins qu'il soit à Jake. Ou peut-être à Cole... Mais là n'est pas la question ! Tu comptes m'expliquer pourquoi tu étais à demi-morte dans la ruelle ?

L'inspectrice souffla bruyamment et se dirigea vers l'évier de la petite cuisine, où elle posa délicatement son assiette et ses couverts ; elle retourna dans le salon, s'assit dans le canapé, et fit signe à son amie de la rejoindre. Cette dernière posa sa tête sur l'épaule d'Anna et lui chuchota :

- Alors ?

- Je ne sais pas. Après le rendez-vous, qui s'est d'ailleurs très mal passé, j'avais une terrible migraine. Et j'entendais des voix.

Atara haussa un sourcil, qui disparut derrière sa frange verte. Elle avait l'air peu convaincue. Elle se redressa et annonça d'une voix monotone :

- Bon, je te laisse, je vais me coucher. Bonne nuit, Dark Phoenix.

Et elle partit vers sa chambre. Anna resta longtemps à contempler l'écran vide de la télé éteinte. Elle était terrifiée. Elle ne savait plus quoi faire. Elle devait l'appeler. Lui. Il l'avait aidé avant. La jeune femme prit son téléphone, qui était posé sur la table, et tapa ce numéro, qu'elle connaissait par cœur. Le premier « bip » retentit. Il décrochera... Le second résonna dans la pièce. Il ne l'abandonnera pas...

- Allô ?

Anna soupira de soulagement. Il avait répondu. Tout allait bien se passer.

- Enrique ?

- Anna ?! C'est toi ? Mais... ça fait bien deux ans qu'on ne s'est pas vu !

- Oui, je sais, j'ai été très prise.

- Je veux bien te croire ! Je voyais tes photos dans le journal ou à la télé et je me disais : « Ah, c'est ma petite sœur de cœur ça ! ». Je suis très fier de toi.

- Merci, répondit Anna d'une toute petite voix, en esquissant un léger sourire.

Un ange passa, et s'attarda durant quelques interminables secondes. L'émotion était palpable à travers le cellulaire. Enrique se décida à parler :

- Anna, je sais que tu vas nier, comme toujours d'ailleurs, mais je te connais trop. Je sais que quelque chose ne va pas. Tu as des problèmes ? Des menaces ? C'est encore ta Bulle ?

- Oui, soupira la jeune femme. C'est de pire en pire, j'ai l'impression que je suis en train de devenir un monstre.

- Tu ressembles déjà un monstre depuis que tu es petite, tu sais.

Enrique ricana bêtement ; Anna, elle, leva les yeux au ciel et sourit. Elle avait besoin de lui, et de son humour, surtout dans les moments comme ça. Elle lui expliqua la situation : la substance noire, les treize heures d'inconscience, ses passages dans la Bulle de plus en plus fréquents... Il l'écouta avec intention, sans l'interrompre, puis il annonça :

- Anna, je vais te prendre rendez-vous avec une personne spécialisé avec les maladies mentales rares, et je te payerai le rendez-vous aussi. J'insiste sur ce dernier point.

- Enrique, dis-moi, tu penses que je suis folle ? Ou que je suis un monstre ?

- Non, tu n'es ni l'un, ni l'autre ! Je t'interdis de dire des choses comme ça ! Tu es la meilleure inspectrice d'Europe, et sûrement du monde. Demain, je t'attendrai en voiture devant la gare, à neuf heures. C'est non négociable, ma luciole.

En entendant ce petit surnom, une larme s'échappa des yeux de la jeune femme ; c'était indéniable, son frère de cœur lui manquait atrocement.

- Anna ? Tu es toujours en ligne ?

- Oui, je suis toujours là.

- Parfait. Bon, va te coucher, il est tard. On se voit demain ! Bonne nuit, ma luciole.

- Tu m'as manqué, chuchota Anna.

Mais Enrique avait déjà raccroché. Anna se sentait mieux. Parler avec son frère lui avait remonté le moral. Après avoir ôté ses lentilles, qui lui brûlaient les yeux, elle tomba dans les bras de Morphée, la boule d'angoisse dans son ventre ayant déjà bien dégonflée.



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