6. Propagation

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Durant les vingt minutes de trajet en taxi, le ton entre Anna et Hopper était bien plus cordial, et ils cherchaient vraiment à s'entraider. L'appartement du suspect se trouvait au cœur d'une cité plutôt mal famée ; une forte odeur de substances illégales embaumait l'air ambiant. Des adolescents trainaient au centre de la cité, fumaient, buvaient, jouaient avec du feu et des couteaux... L'inspectrice et le sergent arrivèrent enfin au bâtiment n°8. L'entrée était gardée par trois hommes, d'environ vingt ans, à l'allure douteuse : yeux injectés de sang, cernés, avachis contre la porte. Ils sifflèrent bruyamment dès qu'ils virent Anna arriver devant eux.

- Eh, salut ! Elle a le boule qui chamboule, celle-là !

- Tu peux rouler du cul, pétasse. On aime bien ça nous.

- Viens avec nous, ma jolie. On va s'amuser !

- Messieurs, annonça Hopper en sortant son insigne, je suis au regret de vous informer que nous somme en plein travail, et je n'aime pas être dérangé lors de mes affaires. Merci bien.

Il saisit sans ménagement l'un des hommes par le col de son t-shirt et l'expulsa hors de sa vue ; les deux autres se regardèrent et détalèrent comme des lapins sans demander leur reste.

- Merci, balbutia Anna.

- Je t'en prie. Ce n'est que...

- C'est quoi cette merde encore ?!

Le sergent fut coupé par un beuglement, et un petit homme en survêtement descendit en trombe les escaliers, tel une furie.

- Vous êtes malade ou quoi ?! Si vous voulez acheter, c'est pas en agressant mon filleul que vous allez avoir une réduc' !

- Bonjour mon cher monsieur, dit Hopper. Vous êtes bien Evan McDowell ?

- Euh, oui, dit l'homme, légèrement pris au dépourvu. Mais, si c'est pour la vente, on m'appelle Big E.

- J'en suis ravi, monsieur Big E, continua le sergent. Nous sommes de la police, ajouta-t-il en sortant une nouvelle fois son insigne ; et nous souhaitons vous interroger.

Le visage de McDowell se décomposa, son regard passa furtivement du sergent, à l'inspectrice, et à la cigarette qu'il tenait entre les doigts. Il écrasa cette dernière contre la semelle de son énorme basket, la jeta, puis se redressa :

- Ah d'accord ! Vous voulez quoi ?

- Nous sommes ici après avoir eu un écho comme quoi vous connaissiez Sir Murdoch, annonça Anna. D'où le connaissez-vous ? Quelles étaient vos relations ?

- On s'est croisé dans sa banque, j'étais en défirit...

- En « déficit », vous voulez dire ?, corrigea la jeune femme.

- Ouais, c'est ça. Et il m'a pris à part dans son bureau et il m'a dit : « Je sais que vous vendez. ». Et du coup, je... Attendez un peu, vous êtes juste là pour les perquisitions ? C'est un putain de piège, c'est ça ?!

Hopper ouvrit la bouche pour renchérir, mais Anna fut plus rapide :

- Non, le sergent a autre chose à faire. Continuez s'il vous plait, ajouta-t-elle en sortant un bout de papier qui trainait dans sa poche et un petit crayon de papier.

- Euh, ouais... Euh, et là, ce drôle de bonhomme me demande de devenir son fournisseur.

- Quelles sortes ?, l'interrompit Hopper.

- Il était pas compliqué le gars ; mais il kiffait l'héroïne. Et il était riche, donc je pouvais m'en procurer plus facilement.

La jeune inspectrice griffonnait avec hâte toutes les informations, se demandant comment les trafics n'avaient-ils pas été découvert par les autorités. Sir Murdoch était constamment suivi par des journalistes, que ce soit quand il promenait son chien, quand il sortait fumer... Tout le temps.

- Vous avez été plus que discret je suppose ?, demanda Hopper.

- Bah ouais, mec. Avec tous les keufs et les putains de journalistes, c'était pas sûr. Du coup, on se voyait qu'un seule fois par mois, c'était une grosse commande. De l'héroïne, toujours de l'héroïne. Il m'a dit que c'était pour ses nerfs, à cause de la pression et de la fatigue de son job. Ouais, drôle de bonhomme, ce type.

- Et quand l'avez-vous vu pour la dernière fois ?

- Il y a plus de trois semaines, répondit Big E un peu trop vite.

Anna et Hopper se regardèrent et comprirent aussitôt : cet homme mentait. La vidéo datait d'il y a trois jours seulement.

- Ne nous mentez pas, le menaça le sergent. Sinon, ce sera en prison que vous avouerez. Vous avez vu cet homme il y a trois jours, vous vous êtes même disputés. Mais pourquoi ?

- Euh, je... lui..., bredouilla le petit homme. Histoire de cash.

- Développez, dit la jeune femme.

- Bah la règle, c'était « je donne, tu payes tout de suite en liquide ». Il y a trois jours, il a refusé de me filler la tune. Je sais pas pourquoi. Du coup, j'ai dit que ça allait mal se passer, et tout ça. Bref, un petit enculé ce gars. Je me demande comment il a fait pour avoir une meuf aussi bonne.

- Merci pour votre coopération, passez une belle journée, conclut Hopper.

Anna et lui repartirent vers le taxi qui les attendait ; en se retournant, la jeune femme sentit le regard de McDowell accroché à ses hanches. Elle s'engouffra rapidement dans la voiture noire, puis se tut. Hopper le remarqua et la questionna :

- Ça va pas ?

- Si, mais ça me fait un peu penser à l'histoire de cet idiot de journaliste sur ma soi-disant prise de drogue. Et puis, ces hommes qui m'ont dévisagé comme si j'étais un bout de viande, je ne sais pas... Je suis un peu fatigué de tous ces cons.

- Tu sais, peu de personne croient à cette histoire de drogue ; c'est juste pour le buzz, le mauvais buzz. Et ne t'inquiète pas, si je surprends quelqu'un à te regarder comme ça, je m'occuperai moi-même de son cas.

La jeune femme sourit, puis rougit subitement. Après tant d'années de guerre, elle et Hopper semblaient être redevenus comme avant. Toutefois, elle sentit que quelque chose avait changé.


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