12. Les échos des craquements. (1)

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Au début, il y avait une plaine blanche. Alourdie de brouillard et dépeuplée. Un paysage uniforme dont l'horizon se noyait de tout bord dans un épais voile glacé. Un matin frais, où il avançait au-dedans sans savoir si le choix de sa direction était le bon.

Il continua quand bien même il doutait ; mais il pouvait tout à fait changer d'avis et dévier : sa route n'était en rien tracée. En fait, il n'y avait ni route, ni relief estompé dans l'immensité brumeuse, pas même la silhouette furtive d'un chat ou d'un corbeau.

Mais l'herbe ! elle semblait la même que chez lui, se rassura-t-il. Non, non, l'herbe est partout pareille, ça il le savait. Il gardait cependant l'impression que ce parterre lui était familier. Et puis tout compte fait, peut-être pas. Roches pointues, pentes plongeantes et arrondies, vols d'oiseaux, échos de bêlements, voilà ce qui manquait à cette étendue amorphe.

Était-il seul ? Sans aucune compagnie ? Il eut beau observer les alentours, lever la tête... mais même à l'endroit le plus improbable, il n'y avait pas forme humaine. Les lieux reposaient dans un silence immobile. Même le vent ne s'occupait point d'agiter la verdure, de pousser l'épaisse laine humide au travers de la lande. Mis à part le bruit feutré de ses pas, aucun son ne résonnait à ses oreilles.

Il s'arrêta soudain et décida d'attendre. Quoi au juste ? Le savait-il seulement... Qu'importe pourvu qu'on lui apportait la preuve qu'il se passait au moins quelque chose, un rien, autour de lui. Un étau enserra doucement sa poitrine. Il cessa de promener ses yeux dans ce blanc laiteux - car cétait bien inutile - et s'en remit à son ouïe. Malgré toute la concentration dont il se fut armé, impossible de qualifier le bruissement sourd et monocorde qui lui parasitait les oreilles d'autre chose que de chant du vide.

Finalement, où se trouvait-il ? Et par où était-il entré ? Est-ce que revenir sur ses pas lui permettrait de sortir de cette plaine ? Sur cette interrogation, il fit volte-face dans un crissement aigu. Ses chaussures étaient-elles à nouveau neuves pour produire un son pareil ? Ce fut en jetant un coup d'œil à ses pieds qu'il s'étonna de les voir nus, et ce qu'il croyait être un couinement, persistait dans le lointain, en provenance de son précédent cap. Cela venait précisément du ciel. Il s'agissait plutôt d'un sifflement, si froid, si strident que ses cheveux se dressèrent sur sa nuque. Au fur et à mesure, le chuintement se métamorphosa, se divisa pour se muer en une multitude de voix, puis en un chœur de hurlements. Dans l'expectative, il se retourna mais ne vit rien, alors que cette harmonie pétrifiante qui lui vrillait les tympans s'approchait à très grande vitesse. Il comprit lors d'un instant de stupeur qu'elle fondait droit sur lui.

Dès lors, il s'accroupit, la tête baissée entre ses bras. L'absence d'abri dans les environs ne lui laissait que ce choix. Au moment où les cris devinrent insoutenables, si bien qu'il se sentait vibrer comme la corde d'un vulgaire instrument et persuadé que le bruit allait le faire imploser, la chorale mourut à la suite d'un son net et mat. Il entendit alors un craquement mouillé. Après un instant d'hésitation, il écarta ses mains de ses cheveux ébouriffés et observa les alentours de ses yeux écarquillés.

Le paysage ne semblait pas en proie au changement. Il s'agissait peut-être d'une illusion impérieuse, d'un espace immortel et figé. Ses hurlements, sinistres et puissants, n'avaient abouti à aucune conséquence. Il se redressa en chancelant, tant il était troublé. L'attaque semblait avoir atteint quelque chose, il l'avait parfaitement entendu et cela lui rappelait avec effroi le bruit d'une flèche qui pénètre la chair, ou d'un membre qui se brise. Il fit donc un tour sur lui-même, et entrevit quelque chose sur sa gauche. Enfin ! songea-t-il, mais son prompte enthousiasme disparut comme l'on mouche une bougie avec deux doigts humectés.

La Légende de Doigts GelésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant