4. Le cortège.

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Au dehors dans la rue incrustée d'empreintes boueuses, la bise agit sur Elke comme un fébrifuge : une placidité nerveuse s'empara d'elle, et elle hésita sur la direction à prendre. Les guerriers quant à eux se disséminaient déjà dans tous les sens afin de s'équiper en raison de l'arrivée de l'escorte. Le Chef donnait ses dernières directives à quelques assistants du conseil quand il la surprit ainsi, planté comme un piquet en plein milieu du passage. Il la rejoignit, ce qui la tira de sa réflexion.

- Qu'attends-tu ? lui demanda-t-il en se penchant vers elle d'un air avenant.

- Est-ce que moi aussi je dois me préparer ? le questionna-t-elle en retour, tandis qu'une vilaine appréhension faisait un nœud à son estomac. Quand est-ce qu'on sera rentrer au village ?

- Nous devrions être rentrés avant la nuit, assura Osbern. Je pense que tu n'as pas besoin de te préparer ; en revanche, tu peux aider les autres à le faire. Va sur le lieu du rendez-vous. »

Il lui adressa un sourire encourageant, puis lui tourna le dos et emprunta une autre venelle. Elke le regarda s'y enfoncer puis disparaître à un tournant avec une inquiétude rentrée. Il lui vint à l'esprit de profiter de ces quelques minutes pour aller se confier à Winn, mais elle ne doutait pas que la conversation ferait le double du temps qu'il lui était imparti. Résignée, elle se décida finalement à rejoindre l'entrée du village.

Sur le trajet, il lui sembla que d'autres habitants faisaient route avec elle dans la même direction. Elle pouvait voir un flot de visages soucieux, parfois mue par un espoir incrédule, qui venait se mêler petit à petit sur le Chemin. Il y avait un certain malaise dans l'air, et elle en déduisit que le bruit avait déjà commencé à se répendre. Elle entendit même untel brailler au-dessus des têtes - sans doute à une connaissance - qu'un truc intéressant allait se passer là-bas et qu'il fallait se dépêcher. Un trac soudain lui fit presser le pas. D'aucuns ne devait se douter qu'elle était l'un des escorteurs, et pour cause, elle trottait vers le lieu du rendez-vous à l'image de cette foule de curieux.

Elke parvint finalement à l'endroit prévu, et ne compta pas même un tiers de ses dix compagnons sur place. Elle s'étonna cependant de la réactivité des quelques présents ; ils y avaient fort à parier qu'ils avaient couru chercher leur équipement. Elle songeait à aborder l'un d'entre eux dans le seul but de faire abstraction du temps lorsque quelqu'un lui saisit le bras sans ménagement et la tira sur le bas-côté de la route. Un regard offusqué en arrière lui révéla l'auteur de cet emportement : c'était un grand jeune homme au faciès anguleux et à la chevelure sombre, et dont les fines lèvres se tordaient en une grimace mécontente. Sans un mot ni même un salut, il la fit se planter à côté de lui comme l'on remet un enfant encombrant à sa place, puis s'assit sur le perron d'une maison. Il tenait de son autre main une claymore dans une gaine et une cuirasse glissée sur son avant-bras pour le transport. Elke, oubliant toute agitation, le dévisageait muette d'indignation, et dans la confusion la plus totale.

- Aide-moi à enfiler ça, lui ordonna-t-il d'une voix sourde en désignant le plastron.

- T'as pas idée d'essayer par toi-même, d'abord ? répondit-elle avec une hostilité à peine voilée.

Il fit claquer sa langue et jeta sur elle un regard perçant. Elle détestait ses yeux, oh oui, cette couleur étrange et malade, ce noisette blême. Elle les haïssait autant qu'elle craignait en être le sujet.

- Ça va me prendrait trop de temps, insista-t-il. Alors aide-moi. "

Elke renonça à une répartie acrimonieuse et alla s'agenouiller près de lui tandis qu'il défaisait les attaches de la cuirasse, puis la passait par-dessus sa tunique grenat. Bien qu'elle s'empressait d'en finir avec ces maudites attaches de cuir aux épaules et sur les côtes, elle ne put s'empêcher de détailler le plastron qui avait une singulière apparence : c'était un ensemble de bandes de cuirs adjointes ensembles à l'horizontale par du fil de fer. Elles étaient également cloutées à deux pièces en fer verticales situé au centre du torse et du dos. Elke se figurait qu'il avait l'air de porter un squelette sur lui au lieu d'une armure si l'on en oubliait la couleur métallique et bois d'ébène. De plus, elle lui seyait à la perfection ; du sûr-mesure, sans doute.

La Légende de Doigts GelésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant