9. Funeste sort.

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Finn Ar'Sage se demandait sincèrement si le sommeil se présenterait à lui ce soir-là. On venait de lui attribuer une chambre d'auberge, une mansarde pourvue d'un petit lit, d'une table, d'un tabouret et d'un pot de chambre. Il regardait tout cela avec confusion, pétrifié, et s'interrogeait. Que faisait-il là ? Quelle instance moqueuse avait pu le mener ici, aujourd'hui, et ne pouvait-elle pas le rappeler ailleurs, par un autre de ses caprices ? Il voulait disparaître, il souhaitait que cet endroit se trouve à des lieux et des lieux de lui. Son esprit hurlait en vérité, il était horrifié, il voulait s'échapper... mais son corps le retenait comme une ancre dans cette petite chambre pleine de nuit. Coincé au bord du monde, à deux pas de la forêt, le village le faisait prisonnier.

Lui aussi s'était fait otage de la situation, mais incapable de se dédire, il allait rester là. Les cris de panique dans sa tête abjuraient cette promesse : au diable son courage, au diable ses paroles d'honneur, s'il pouvait s'éloigner de cet endroit, il devait le faire sans tarder.

Mais lorsqu'il imaginait le voyage à faire, il réalisait soudain les distances colossales qui le séparaient du reste. La Capitale, Front-Tertre, ou il ne savait où encore tant qu'il se trouvait assez loin d'ici, tout lui semblait si éloigné... Il comprenait avec terreur qu'il ne bougerait pas de là cette nuit. Ses deux pieds pesaient sur le plancher comme deux énormes poids. De colère et de désespoir, Finn se demandait pourquoi Hekar était si isolé, si perdu.

Que devait-il faire ? Que devait-il faire lorsque, en proie à pareille angoisse, il avait promis de rester ? La réponse apparut, aussi simple et abrutissante. Il lui fallait reprendre son rôle. Celui du sorcier de retour de mission, installé dans une auberge pour la nuit. Alors il rentra dans le rôle du sorcier. Puisqu'il était là et qu'il était temps qu'il aille dormir, il se convint que c'était l'heure et qu'il avait sommeil. Ainsi donc, il réitéra les gestes simples qu'il effectuait d'ordinaire chaque soir. C'est là qu'il rencontra un problème. Un petit rien, sans conséquence, mais qui le laissa découragé et impuissant. Retirer ses bottes. Comment ne trouvait-il pas la force de se pencher pour les enlever ? Où dénicher un endroit où suspendre ses vêtements ? Comment se rendre au bol qu'on avait posé pour lui sur la table afin qu'il se débarbouille ?

Le rôle devenait compliqué. À vrai dire, il se sentait incapable de le remplir.

Il venait de réchapper à la pire mission qu'il lui avait été donné de faire. Ses pensées étaient arrêtées sur les événements de cet après-midi, et jamais retirer ses chaussures avant d'aller au lit ne lui avait paru aussi insignifiant et si peu naturel. En fait, c'était ridicule. Comment une telle nécessité pouvait-elle équivaloir à l'incident de cet après-midi dans son esprit ? Il n'aurait su répondre.

Était-il seulement capable de faire quelque chose, maintenant qu'il se trouvait seul, sans personne pour accuser de sa faiblesse ? Était-il encore en mesure d'aller de l'avant, de reprendre le fil de sa journée comme si de rien n'était et d'ignorer l'angoisse qui le rattrapait par-derrière ?

Quelqu'un pleurait quelque part.

Était-ce dans l'auberge ou dans les rues ? Il n'était pas bien sûr. Les longs gémissements perçaient le silence, sans que l'on sache s'ils appartenaient à une voix d'homme ou celle d'une femme. Lorsqu'il y prêtait l'oreille, Finn serrait les mâchoires et essayait de chasser de sa mémoire l'odieuse image de ce revivant qui sanglotait sans raison. Dans l'obscurité de la mansarde, il trouva son lit, s'assit au bord et attendit que l'envie de dormir se manifeste. Mais le hululement douloureux crevait la nuit et il restait là, les yeux grands ouverts sur sa chambre vide et immobile.

La Légende de Doigts GelésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant