1. La vieille dame...

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.oOo.

« Elfi ! »

Hermine avait hurlé si fort qu'elle s'en était griffée la gorge. Elle reprit sa respiration à grand peine, tiraillée par ce sentiment d'angoisse qui la submergeait depuis l'instant où sa petite sœur avait disparu. Nulle trace de pas dans les environs, ni bruits aux alentours. C'était comme si la neige qui recouvrait le sol avait étouffé, avec la terre et les racines, les chants de la nature. Les arbres morts, devenus noirs et sinistres avec l'arrivée de l'hiver, plongeaient Hermine dans une solitude glaçante et hautement culpabilisante. A force de tourner sur elle-même à la recherche de sa cadette, priant les dieux de la faire réapparaître, la vision striée de ramifications nécrosées lui donnait un vertige épouvantable.

Quelle idée stupide de s'être aventurée aussi loin dans le Bois Noir de Saint-Ondre dans le seul espoir de trouver de quoi manger : il n'y avait strictement rien.

— Quelle idée stupide ! vociféra Hermine contre elle-même en se tenant les tempes, les yeux rageusement fermés.

De chaudes larmes dévalaient les joues gercées de l'adolescente. Celle-ci se redressa dans un reniflement et se força à poursuivre la fouille du sous-bois accidenté. Ses doigts gelés relevèrent la frange brune qui se collait aux rus de ses pleurs, et son regard parcourut une énième fois la sapinière endormie, sans rien apercevoir. Étreinte par un indicible désespoir, elle s'oublia et se laissa submerger, comme face à la fureur d'une déferlante. Elle se voûta sous la puissance du cri qu'elle éructa :

— Elfi ! »

L'éclat de sa voix éraillée résonna loin, très loin. Mais rien n'y répondit. Le vide en elle s'accrut, incommensurable. Et le silence, déchirant, la livra aux sanglots. Une effroyable réalisation suivit. Son cœur entonna un contrepoint douloureux.

— Oh mes dieux, je l'ai perdue, je l'ai perdue... Mais qu'est-ce que je vais faire quand je vais rentrer ? Qu'est-ce que je vais dire...? geignit-elle, la bouche pâteuse.

Les yeux bouffis par ses pleurs, la mâchoire béante, la fillette tournait toujours sur elle-même tandis que se présentait dans un tourbillon les silhouettes de ces arbres vénérables et placides, en-dessus de son malheur et de sa détresse.

— Mais par Idréias, répond-moi Elfi, je t'en prie... ! supplia-t-elle de façon quasi inaudible tandis qu'elle serrait sa cape reprisée sur ses bras menus après quelques reniflements.

Un cri.

Un cri immonde et inhumain, résonna loin par-delà la sapinière. Le visage d'Hermine se figea. Elle devint pâle. Glacée jusqu'au bas des reins, elle ne put que tendre l'oreille pour voir si elle n'avait pas rêvé ce cri. La peur panique d'avoir perdu sa cadette pouvait l'avoir rendue folle. Mais quand le cri retentit une nouvelle fois, strident et gargouillant... proche, elle n'eut plus de doute. Hermine devait briser sa stupeur : elle souleva un pan de sa robe puis se détourna pour courir. Elle n'aurait jamais dû crier, jamais. Le Bois Noir était le sanctuaire de forces anciennes, et les intrus n'étaient que proies, déjeuners. Entre ses troncs à l'écorce noircie, rien ne survivait ; il ne s'agissait que d'une question de temps.

La fillette enjamba la neige aussi vite qu'elle le pouvait pour atteindre la Frontière. L'air rasoir infligeait à ses poumons et ses yeux des brûlures. Elle gémissait sous l'effort et la peur. Son cœur fit une embardée quand le hurlement retentit derrière elle, long et puissant, et elle manqua d'y répondre de plus lamentable manière. Elle entendit bientôt la créature louvoyer entre les troncs dans son dos et dévaler le côteau à une vitesse alarmante. La Frontière apparut un peu plus bas au-devant et tout ce qui lui importa fut de la traverser dans l'instant. Elle força sur ses maigres pincettes. La respiration rauque du revivant vibra au coin de son oreille. La créature réglait sa vitesse à la sienne dans un souffle saccadé et rapide. Comme dans un rire. Hermine glapit, les yeux fermés, ce qui devait être une dernière supplique, quand son pied fut happé par un rocher qui pointait du sol. Elle tomba dans la neige et roula jusqu'au bas de la pente plus vite qu'elle n'aurait jamais pu courir.

Sonnée, elle émergea gourde de la poudreuse dans laquelle elle s'était vu jetée. La panique afflua derechef, et un coup d'œil par-dessus son épaule, les sens aux aguets, lui apprit qu'elle était seule. Elle reprit une respiration erratique, coupée plus tôt par la chute. De ses yeux écarquillés par la peur et la stupéfaction, elle scrutait la forêt juste derrière elle. Le monstre s'était comme évaporé. C'était à la fois impossible et miraculeux qu'il ne l'ai pas attrapée pendant sa chute, qu'elle ne se soit pas subitement vu engloutie par des lieux et des lieux de sous-bois, conduite loin de la lande, vision natale que racines écorcheuses et monticules de neige ensanglantés aurait alors occultés. Mais elle avait survécu et franchi la Frontière juste à temps. Soudain consciente de l'exploit et de l'opportunité qui s'offrait à elle, Hermine sortit de la transe où elle avait vainement cherchée le revivant qui, peut-être, enrageait tapi sous les ramures. Elle se retourna brusquement et heurta quelque chose de son ventre. L'enfant tomba sur les fesses. Hermine regarda, les yeux larmoyants d'un soulagement intense, sa petite sœur assise par terre. Elle tomba à genoux et serra jusqu'à l'étouffement sa cadette, qui semblait bouder d'avoir été bousculée. Cette dernière finit par lui rendre son étreinte, passa des mains anormalement longues et griffues dans son dos, et le lui caressa.

Griffues ?

Des dents limées en pointes s'enfoncèrent dans l'épaule d'Hermine qui, du coin de l'œil, vit la joue nécrosée de la petite fille qui pelait. Ses yeux s'agrandirent quand elle ressentit enfin la douleur cuisante à travers l'anesthésie du froid. Sa petite sœur tira, tira sur sa peau et l'arracha, filament par filament, dans une gerbe de sang. C'était la première fois depuis l'élévation de la Frontière qu'un revivant avait quitté le Bois Noir.


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Dernière réécriture : janvier 2023

NDA : Hey, salut tout le monde ! Nouvelle histoire, nouveau prologue, qui d'ailleurs j'espère en aura fait frissonner certains. Faut pas s'inquiéter s'il fait quelque peu flipper, c'est normal, c'est le début et donc j'ai mis le paquet !

C'est une histoire qui m'est venu après avoir seulement écrit une nouvelle pour un concours. Faute de moi, j'ai pas pu l'envoyer :/ Mtn, dites-moi : qu'est-ce que vous avez ressentit en lisant ce chapitre et est-ce qu'il vous a plu ?

Si vous avez des question plus personnelles, surtout n'hésitez pas je serais là pour y répondre ! Des zoubis, et à plus !! ;)

La Légende de Doigts GelésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant