Chapitre 15

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Je me réveille péniblement et consulte mon téléphone. Il est quatre heures du matin et le train s'arrête dans une demi-heure. Je regarde le paysage bolivien défiler devant mes yeux. Je réfléchis aux différentes possibilités qui s'offrent à moi et elles ne sont pas nombreuses. Le train s'arrête et les passagers commencent à descendre. En cet instant précis, je redoute que Gabriel m'ait suivie et je sais pourquoi. Mon téléphone est un GPS pour lui. Il peut savoir où je suis, ce que je fais et avec qui je suis. Je déambule dans la gare, perdue. Puis, sans que personne ne me remarque, je laisse tomber mon téléphone et continue mon chemin en prenant soin de marcher dessus. Je ne me retourne pas mais j'entends un second bruit de verre brisé et devine que quelqu'un d'autre a piétiné mon portable. Je continue ma route sans me rendre compte que le retourne vers les quais. Je monte dans le premier train qui me tombe sous le nez, non sans vérifier qu'il ne retourne pas au Venezuela. Juste avant que le contrôleur passe, je m'enferme dans les toilettes du train. J'en sors une heure plus tard, l'air de rien et m'installe sur un siège libre. Le voyage durera dix-huit heures et je vais au Mexique.

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Arrivée à la gare de Mexico, j'ai décidé de reproduire le même manège qu'à Carthagène et suis montée dans un train en partance pour Las Cruces, au Nouveau-Mexique. Je somnole tout le long de l'interminable trajet en me promettant d'arrêter ma couse aux Etats-Unis et de m'y faire oublier. J'ai envie de pleurer mais je me retiens : je m'apitoierais plus tard sur mon sort.

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Le train entre en gare et je me dépêche de descendre. Je suis parfois obligée de jouer des coudes pour me frayer un chemin entre les passagers pressés. Une fois sortie du tumulte de la gare, je me dirrige vers l'arrêt minute réservé aux taxis. Il y en a trois et j'en choisi un au hasard. Un jeune homme d'une vingtaine d'années à la peau noire me sourit.

- Où est-ce que je vous emmène ?

Une chance pour moi : j'ai un excellent niveau d'anglais. Je soupire de soulagement en savourant ce bref moment de répit.

- Le plus loin possible.

Je dois avoir l'air épuisée parce que le conducteur acquiesce silencieusement et coupe la radio qui hurlait du hard rock. Il démarre et je me cale dans mon siège en essayant de dormir. Alors que je m'étais promis de ne pas pleurer, des larmes vinrent soudainement inonder mes yeux. Je pose ma tête contre la fenêtre en reniflant.

- Vous avez des ennuis ?

Le chauffeur me lance un regard compatissant. Je hoche la tête en silence. Je suis une criminelle étrangère, dans un pays étranger, qui fuis ses actions et celles d'un homme que je n'aurais jamais dû rencontrer, ni aimer.

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Le trajet dura trois heures. Trois heures durant lesquelles j'observais le paysage mythique défiler devant mes yeux. Un paysage digne d'un western. Le chauffeur m'a déposé dans une petite ville appelée Orogrande. Quand je l'ai payé, il m'a donné une adresse en me disant que des amis à lui vivaient ici.

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Je déambule dans les rues en cherchant la bonne avenue. Je tombe sur le dinner dont le chauffeur de taxi m'a parlé et décide de m'offrir un en-cas. Je m'installe à une table et commende un plat bien américain, histoire de ne pas me faire remarquer en demandant une salade qui n'est même pas sur la carte. L'horloge affiche vingt-trois heures et je me demande comment j'ai pu à ce point perdre la notion du temps. Immédiatement après avoir terminé mon repas, je m'effondre sur la table, épuisée.

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- Miss, réveillez-vous, nous allons fermer.

J'ouvre péniblement les yeux et me retrouve nez à nez avec le patron du dinner.

- Désolée, bafouillais-je, je n'avais pas prévu de m'endormir.

Je me masse les tempes et me rappelle pourquoi je suis venue dans ce restaurent.

- On m'a dit que vous aviez besoin d'une serveuse.

- Oui tout à fait. Le poste vous intéresse ?

- Oui.

- Parfait, vous commencez demain.

- C'est-à-dire...

- Un problème ?

- Je viens d'arriver... et je n'ai nulle part où dormir.

- Vous fuyez ?

- Oui. Je... suis française.

- Eh bien dis donc, vous en avez fait du chemin !

- Vous ne croyez-pas si bien dire.

- Bon allez, suivez-moi je vais vous montrer un endroit ou vous pourrez poser vos bagages le temps de trouver un appart.

- Merci.

En face du dinner, il y a un motel. Je connais vaguement le principe de ces établissements et je suis assez contente que les pièces d'identités y soient rarement requises. Enfin... avec la chance que j'ai, ce n'est pas impossible que je sois obligée de décliner mon identité si je veux espérer passer la nuit au chaud. Le réceptionniste me demande de payer une nuit d'avance et me donne une clé sans que j'ai besoin de demander quoi que ce soit. Je sors quelques billets de mon sac et file me réfugier dans ce qui sera mon chez-moi pour une semaine. Je pose mon sac sur une table bancale et en sors ma trousse de toilette ainsi qu'une serviette que j'ai piquée dans l'hôtel au Venezuela. Je sors de la chambre aux murs verts et dégoulinants de crasse et me dirrige vers la salle de bain commune. Je me sentirais sans doute mieux après une douche chaude. Je me déshabille et observe mes traits dans le miroir. J'ai l'air d'un zombie. Dormir dans les trains ne m'a pas réussi et même si l'aspect du lit de ce motel n'est absolument pas engageant, je me réjouis de pouvoir enfin dormir sur un matelas. Le jet d'eau est brûlant mais je m'en fiche. La chaleur détend mes muscles endoloris et m'apaise. Je me remets à pleurer mais cette fois, je ne retiens pas mes larmes : elles ont assez attendu comme ça ! Je laisse libre-cours à ma rage et à ma tristesse tandis que les fameux « j'aurais dû faire ceci ou cela » m'assaillent la tête.

+++

Je suis arrivée pile à l'heure à mon nouveau travail et l'employeur m'a donné une tunique que les autres serveuses portent aussi. Je me suis changée en quatrième vitesse et j'ai démarré ma première journée de travail aux Etats-Unis. J'ai fait la cuisine, le ménage, le service puis le ménage à nouveau. C'est un rythme sans grandes surprises qui convient parfaitement à une fugitive. Tous les soirs, avant de rentrer à mon motel, je regarde les annonces de logements en espérant en trouver un qui ne soit pas au-dessus de mes moyens. 

Stone Heart MafiaWhere stories live. Discover now