Le Train passera deux Fois (1/3)

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L'avantage quand quelqu'un de votre famille disparaît sans laisser de trace, voire décède, c'est que ses affaires sont enfin en libre-service ! C'est pour cette raison que j'ai accepté l'invitation de tante Apolline à dévaliser le studio de mon sémillant cousin, aux abonnés absents depuis des lustres.

Bien que ce fut un bon gars, je ne l'appréciais pas beaucoup : il était bien trop studieux, limite d'un autre temps, souvent dans la lune et pire : plutôt branché vampires que loups-garous ! Malgré cette divergence absolue, je peux reconnaître sans trop qu'il m'en coûte que le gars avait un sacré bon goût : une collection de films d'horreurs et de jeux vidéo à se damner !

Aussi n'ai-je pas hésité un seul instant à sauter dans le premier train en direction de Dijon, avec trois sacs de voyage vides que j'imaginais remplir à ras bord de geekeries en tout genre. La tête pleine de rêves et d'espoirs, je snobais les paysages lugubres de la Bourgogne, ce fief de pécores que j'ai toujours méprisé.

Hélas, une fois arrivé à Longvic après un fastidieux trajet en bus, j'ai constaté non sans rage que mes cousins par alliance, Barnabé et Célestin, deux Bourguignons pure souche croupissant aux confins du Morvan, ne roulaient pas que les R. Ces nigauds obséquieux m'avaient devancé avec leur camionnette moisie, malgré un trajet alambiqué sur les départementales raboteuses !

Ces deux têtards n'y sont pas allés de main morte ! Au contraire, ils ont eu la main bien lourde en dévalisant littéralement l'appartement, pillant les collections et autres artefacts collector de mon cher cousin. Sans ces reliques, je ne pourrais jamais honorer sa mémoire comme il se doit ! Quelle notion du partage ! Et surtout : quel manque de respect !

Je me retrouvai ainsi, désemparé, pour ne pas dire aux abois, dans une pièce vide dont la seule étagère encore achalandée offrait à mes yeux consternés l'intégrale de Proust version pléiade : pas de quoi grimper au septième ciel.

En tournant quelques pages de ces pavés indigestes - à défaut d'être dauphinois -, je repensais à mon cher cousin et son amour inébranlable pour cette littérature poussiéreuse, alambiquée et soûlante, moi qui ne jure que par les soubresauts alcooliques de feu Bukowski et les minauderies incisives de Bret Easton Ellis. Un monde, finalement, nous séparait.

Non sans émotion, malgré nos différences inconciliables, je me souvins de nos courses dans les champs de maïs, lorsque nous passions, enfants, des étés sans passion, cloîtrés dans une fermette délabrée non loin de la gare de Nuits-sous-Ravières. Ah ! Le parfum crotté des souvenirs brumeux... fraîchement exhumés. Pourtant, rien ne valait nos veillées libératrices, quand nos grands-parents, dictateurs séniles et enivrés de ragoûts, rabotaient les murs décrépis de leurs ronflements ardents.

Mon cousin prétendait avec cet air de certitude somme toute irritant, mais qui faisait son charme, que des vampires assoiffés de sang furetaient dans les ténèbres avec l'inique fatalité de sucer les voyageurs nocturnes qui attendaient les derniers taxis pour Nuits, ou pour Ravières.

Ivres de défis, la peur au ventre, mais curieux comme tout enfant qui se respecte, et ne respecte rien, nous nous engouffrions dans l'obscurité insondable de la nuit, brandissant une lampe à huile du temps jadis à la recherche de ces mythes stupides.

Hélas, nous ne fîmes aucune découverte surprenante, hormis un vieillard adipeux qui rodait sur les quais d'un pas lent avec sa bête du Gévaudan - un immense clebs plus mollasson que son maître - et son fidèle destrier : un caddie à moitié plein.

Avec son sourire cynique, mon cousin chipotait qu'il était à moitié vide, ce satané caddie. Et nous nous disputions, jusqu'à plus d'heure. Pour mettre fin à ces querelles sans clocher, nous décidâmes un jour de le dérober, histoire de mesurer avec un double décimètre la hauteur de son contenu et de constater qui de nous deux avait raison.

Peu enclin à me perdre davantage dans les méandres du passé et des regrets, à céder aux sirènes languissantes de cette nostalgie doucereuse, sentant la larmichette monter au coin de mes petits yeux, je repris très vite le sens des réalités. Manipulant l'un de ces délicieux ouvrages surannés et pompeux, à la recherche d'un éventuel billet de cent euros, je fis une découverte étonnante qui, à elle seule, valait peut-être le déplacement, à défaut de me rembourser mon billet preum's : un prospectus !     

Alpha, Bêta et Meute de FoinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant