Des Pourris et des Hommes (2/2)

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En parlant de larguer les amarres, je m'éclipsai après un digestif histoire de me promener dans les rues de la capitale des Ducs - et des trous duc. Mijaurées et dandys de pacotille battaient le pavé en se la racontant sévère, saucissonnés dans les marques qu'ils brandissaient. Entre orgueil et préjugés, ma tenue bucheronne était loin de faire l'unanimité à juger leurs regards en biais, leurs moues dédaigneuses. Qu'importe : mes slips étaient suffisamment solides pour supporter tous les pets que la terre eût portés ! Les leurs ? Vaste blague !

Non sans entrain, j'en profitai pour doigter vite fait la Chouette puis partir en quête d'un cybercafé pour mener quelques menues recherches sur cette organisation secrète de joyeux drilles. Il faut avouer qu'après avoir quitté le confort messin suite à des études sabordées, la vie à la campagne ne me réussissait pas vraiment : certes, j'avais suffisamment d'espace pour m'épanouir, mais des amis pour le peupler, je les comptais sur les poils d'un doigt glabre.

Ce fut avec une frénésie certaine que je tapais l'url lescrocsbientranchants mais le site, apparemment maudit, cessait de s'afficher au bout de quelques secondes, remplacé aussitôt par un autre d'un goût fort douteux, aux promesses analogues, mais nettement moins funky : lescrocsbienprofonds ! Une sinistre blague ! Des vampires vaguement gothiques, moulés dans du satin clinquant, me faisaient de l'œil : de quoi tourner les talons !

Je demandais à mon voisin d'ordinateur, absorbé dans quelques fans fictions obscures et sans orthographe, s'il voulait prendre le temps et la peine de tapoter mon url. Le quidam, un tantinet efféminé, s'exécuta avec un sourire trop suspect pour mon propre bien. Rien à faire : le site des crocsbienprofonds s'affichait également sur son écran, à mon grand désespoir.

J'aurais bien fouillé davantage les recoins les plus obscurs du net à la recherche d'informations, mais cet énergumène se mit à me harceler. Il m'adressait la parole à tout bout de champ, pour un oui ou pour un non, me posant des milliers de questions sur mon état civil, mon travail, mes loisirs, poussant enfin le vice jusqu'à m'inviter à siroter une bière en sa compagnie, dans son auguste demeure.

Chez lui ! Une bière ? Sans doute la première fois de ma vie que je refusais une bière ! Ce n'était pas un Dijonnais, froid comme la pierre et asservi par le kir, mais sans doute une sorte de pervers, une goule affamée de cul. Ou pire : un mélange dénaturé des deux.

J'aurais dû prendre mes cliques et mes claques et rentrer le pas léger, mais cet abruti posa sa main sur ma cuisse, me promettant que je ne regretterais pas de m'amuser un peu ! Ma cuisse ! J'avais beau lui jeter un regard noir, il ne me répondait que par des clins d'œil.

« T'as un problème mec ?

- Allez, je sais que tu en as envie, je le lis dans tes yeux. Fais pas ton timide.

- Mais t'es malade ! Tu devrais te faire soigner ! T'enlèves tes sales pattes de suite ou... »

D'un coup, je sentis en moi monter une colère noire, un flux d'adrénaline, un grand-huit émotionnel. Un shoot. L'envie, non, le besoin irrépressible de poutrer sa gueule d'enfariné. Sa main grêle continuait à me caresser, malaxant de ses doigts fins mes muscles. Ces griffes épouvantables se resserraient sur mon jean, comme un étau. Une forme de chaleur. Nausée, dégoût, envie de meurtre.

« Ben quoi, rétorqua-t-il avec une voix agressive, tu m'as dragué ! Tu m'as regardé comme si tu avais envie. C'est toi qui m'as abordé avec tes sites pourris. Ton truc de cul avec des vampires en satin. Tu m'as bien maté avant. C'est toi le malade ! »

L'instant d'après, cet énergumène un peu trop loquace à mon goût était étalé sur le sol, les naseaux en sang, pleurant sa mère de tout son saoul. Le gérant du cybercafé me mit à la porte sans ambages, se fichant bien que j'avais payé d'avance une heure. J'eus beau objecter, il ne voulut rien savoir de mes doléances et menaça d'appeler les flics.

Et merde ! Les flics et moi, on n'a jamais été vraiment ami-ami, aussi pliai-je bagage malgré mon envie de ricaner avec les autres clients, qui prenaient des photographies de cette scène pathétique. Personne ne compatissait pour ce pauvre mec. Personne ne l'aida à se relever. Personne ne m'applaudit, mais ils n'en pensaient pas moins : cela se lisait dans leurs yeux qui crépitant de haine, dans l'écho de leurs rires cristallins. Quelque chose de l'ordre de la meute. Au fond de moi, j'avais envie de l'achever.

Cette histoire somme toute anecdotique m'avait ôté l'envie de flâner dans la ville morne, où ne circulait plus âme qui vive. Pourtant, il était à peine vingt-trois heures ! Plutôt que de retrouver le clic-clac promis chez ma tantine préférée, que j'espérais dans les bras de Morphée plutôt qu'en mode veillée funèbre, je fis une étape dans le premier bar venu avec l'espoir de me fondre dans une meute : je ne trouvai que des petits groupes épars qui se jaugeaient, se toisaient, médisaient du bout de leurs lèvres pincées.

Jamais je ne me sentis aussi seul que ce soir-là. Mon cousin avait son amie, lui ; je n'avais que ma rancœur, un cœur de pierre. Je portai donc un toast au disparu, avant d'avaler ce nectar infâme : de la pisse d'âne. À la fois loup solitaire et brebis égarée, je rêvais d'un troupeau où me glisser tandis que repassait en moi ce film d'enfance un rien obscur : le meurtre, en ombre chinoise, de l'homme au caddie. 

Alpha, Bêta et Meute de FoinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant