Loup y es-tu ? (2/3)

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En moi, je sentis monter une certaine aigreur - et ce n'était pas la merveilleuse bière que j'ingurgitais, me délestant d'un billet de vingt sans pinailler. Cet excès de générosité, cette dépense supplémentaire, à laquelle il n'était pas question de rechigner, m'énervait au plus haut point. Il était hors de question que je finance davantage l'expédition de ces nantis, sous peine de ne plus pouvoir payer le loyer de mon cagibi.

Très vite, les discussions tournèrent en rond : point de fratrie suspecte à l'aube des vingt-trois heures. Ne restait plus qu'un groupe de trois mecs, vissé au bar, devisant avec un flegme de cacochyme ! Ils regardaient souvent du côté de la porte, à l'affût, comme s'ils attendaient quelqu'un. Des types bien costauds, mâchoires carrées, regards de loup. Genre rugbymen gavés à la cochonnaille. Mon gabarit ! Nul besoin d'avoir l'esprit de déduction tarabiscoté d'Hercule Poirot pour deviner que c'était eux, le gang : trois mâles alpha tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Quant à l'ambiance promise sur le prospectus ? Un attrape-nigaud !

À notre table, l'ennui plombait la soirée : les verres, vidangés à la vitesse de la lumière, avaient une allure de reviens-y. Sauf le mien, que je sirotais tranquillement, de peur de devoir payer de nouveau ma tournée. Pour faire diversion et relancer la conversation, je montrai à mes camarades de non-aventure le prospectus, en faisant attention que les trois costauds ne le voient pas. Cela nous ferait une petite conversation, le temps qu'il se passe enfin quelque chose dans cet estaminet sans extas et - ô désespoir - sans minettes.

« Ah, je comprends pourquoi tu voulais venir ici ! souffla Paul, désabusé. Tu ne changeras donc jamais. Tu sais de quand date ton flyer ?

- Non, je suppose d'il y a quelques années, c'était à mon cousin, tu vois.

- Celui qui a disparu ?

- Ouaip. Je suis allé chez lui ce week-end.

- Ils l'ont retrouvé ? Mais c'est super ! s'exclama Paul qui retrouva enfin la voie du sourire. Je paie ma tournée ! »

J'expédiai ma bière d'une traite, manquant de m'étouffer et d'éternuer sur le visage de Jacques. Ce dernier observait la publicité avec un intérêt certain tandis que Paul, pas si rabat-joie, fonça sur le bar pour nous approvisionner. Enfin de l'action !

« Prends des pintes », hurlai-je, les yeux plus gros que le ventre, histoire d'amortir ma tournée.

Avec un peu de chance, Jacques paierait à son tour des pintes et on serait quitte : mieux, j'aurais fait une sacrée économie ! Je savourais ce songe au doux parfum de houblon alors que Jacques, emporté par les sirènes du prospectus, me posait une tétrachiée de questions, tel un inspecteur un peu gadget.

« Tu es allé sur le site internet pour en savoir plus ?

- Oui, mais il a été hacké !

- Ah ouais ? Comment ça ?

- Ça dirige sur un site de soirées entre vampires. Ils proposent la même chose.

- Des vampires, t'es sûr ?

- C'est bizarre, attends, je regarde sur mon téléphone ! »

L'occasion pour lui de me narguer avec son téléphone flambant neuf couleur or rose, très sodomitique : le dernier du verger de la pomme pourrie, tout aussi chinois que le mien, mais toutes options. Et il avait internet, lui, dessus. Avec mon forfait à deux euros, je n'avais guère qu'une heure d'appel et la possibilité d'envoyer des textos à volonté à... pas grand monde depuis que j'avais quitté Metz.

Alpha, Bêta et Meute de FoinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant