Des Accrocs (2/2)

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À ce stade, il ne me restait qu'une seule recherche à effectuer : celle des cycles lunaires. Ce fut avec horreur que je découvris que la prochaine pleine lune aurait lieu dans... deux jours. Deux petits jours ! Une organisation réduite à peau de chagrin ! Il était hors de question de patienter un mois.

Sans prendre le temps de tergiverser davantage, je composai avec angoisse le numéro de mon meilleur ami par défaut, avec l'espoir de l'embarquer dans cette aventure, quitte à mentir une fois de plus. Mon seul talent - faire passer des vessies pour des lanternes - m'aiderait sûrement.

« Hé Paul ! Comment tu vas ? C'est Pierre ! menaçai-je d'une voix enjouée.

- Ah... Pierre... Tu veux quelque chose ? répliqua-t-il d'un ton sec. »

Un peu sur la défensive ? Pas eu de câlin hier soir, le toutou à sa mémère ?

« Oui, tu me connais bien ! continuai-je, feignant une bonne humeur contagieuse.

- On ne se refait pas... ironisa Paul, d'une voix agaçante.

- T'as pas l'air dans ton assiette !

- Non, je ne m'attendais pas que tu m'appelles dep... »

Ah ! Bordel ! Paul n'avait pas la mémoire courte, le bougre - mais aucune preuve à décharge ! Certes, j'avais titillé du bout de la langue les profondeurs moites de sa coquine de fiancée, un soir d'ennui. Or, ni photo ni confidence n'attestaient de cet égarement éthylique. Juste une vague suspicion : je reluquai un poil les aisselles velues de sa belle et me suis retrouvé par mégarde avec un poil pubien roux forcément suspect coincé entre les dents. Cela peut jeter un froid sur une amitié, mais je comptai bien sur les vertus de l'alcool pour nous réchauffer.

« Je me demandais si tu connaissais un coin qui s'appelle l'Antre de la Bière ?

- Vaguement, pourquoi ? demanda-t-il sur un ton ennuyé.

- Je ne trouve pas sur internet, on me l'a recommandé. Et comme t'es le spécialiste de la bière, j'ai pensé à toi.

- Je me disais aussi... maugréait Paul que l'évocation de la bière ne décoinçait pas.

- Tu peux me donner l'adresse ?

- Je m'en souviens pas, mais j'ai une carte quelque part, je t'envoie ça par texto si tu veux. C'est à Bitche.

- Bitche, cool, c'est pas loin ! soufflai-je, enchanté. Ça va sinon ?

- On fait aller, le boulot, la routine. Ah au fait, Sarah est enceinte ! »

Bam, et vas-y que je te lance une petite pique en plein cœur !

« Quoi ? Félicitations bro ! » bobardai-je, un peu furieux que ce laideron bedonnant ait la vie dont, moi, je rêvai : son job, son fric, sa maison, sa gonzesse.

Je ne devais pas l'avoir appelé depuis un sacré bout de temps : quel ingrat ! Mais je saurais me faire pardonner cette amitié à sens unique.

« Ça te dit de fêter ça ? embrayai-je sans plus attendre. On se voit à l'Antre de la Bière mardi soir à 22 heures 30 ?

- Je sais pas trop...

- Allez, fais-toi pas prier mec ! Tu dois pas sortir des masses ! »

Sur une échelle de un à dix, l'ennui avec Paul jouait à niveau égal avec une histoire de loup-garou mal branlée : un dix sur dix plus ronflant que ceux qui sont alloués à-aux prestations les plus kitchs de l'Eurovision, commise par des peuplades obscures.

« Pourquoi pas le week-end ? renonça-t-il enfin. Je travaille le lendemain !

- Allez mec ! Le plus tôt, c'est le mieux. Pour marquer le coup, c'est moi qui régale ! J'ai mon RSA qui tombe !

- Si c'est ça ! J'en suis, s'exclama-t-il avec, enfin, un ton enjoué.

- Cool ! Ça me fait super plaisir, entonnai-je avec des étoiles dans la voix.

- À mardi.

- Ouais, à mardi vingt-deux heures trente, on se tient au jus par SMS. »

Pauvre type...

Toujours aussi bonne pâte, roulé dans la farine, Paul tomba dans mon piège, une fois n'est pas coutume. Bon prince, je ne lui offrirais qu'une bière, le temps de rejoindre mes acolytes, après les avoir observés longuement : tel était mon dessein. Or, contrairement à un architecte qui établit son plan selon des variables établies en amont, mon plan improvisé à mesure, plus anarchique, manquait cruellement de données. J'étais loin d'imaginer que tout ne se passerait pas comme prévu. Et moi qui comptais y aller à pas de loup !

Alpha, Bêta et Meute de FoinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant