Alpha, Bêta et Meute de Foin

De la Bière à la Bière (2/2)

« Il est OK, constata Ludwig après son inspection corporelle un tantinet dérangeante.

- Bien, les autres aussi, certifia l'armoire à glace. Pas de poulets à l'horizon. C'est déjà ça ! Qu'est-ce qu'il a dit ? Les autres ne sont pas très coopératifs, ils nient en bloc.

- Il prétend avoir trouvé ce flyer dans les affaires de son cousin mort, intervint le barman d'une voix énervée, coupant la parole à Ludwig, qui se tut, mais dont le regard vif montrait de l'agacement.

- C'est intéressant. Tu t'appelles comment ? me demanda le géant blond, trop sympathique pour être honnête.

- Pierre.

- Bien Pierre, s'il y a bien une chose qu'on aime pas ici, c'est les menteurs. T'avises pas de te foutre de notre gueule. Tu n'as pas idée d'où tu es tombé... »

Ses menaces semblaient dérisoires et pourtant, son air stoïque ne présageait rien de bon ! Alors que je m'apprêtais à répondre sur le ton de la farce, je m'abstins, attendant la prochaine salve de questions sans impatience : de toute façon, j'étais cuit. Hors de question de me mesurer à ces colosses, à la force de mes poings. Je ne faisais clairement pas le poids, même après avoir passé quelques mois dans un gymnase puant la sueur, à éviter les positions homo érotiques lors de séances de lutte gréco-romaine.

Hélas, les questions ne vinrent pas : les yeux posés sur moi, ils attendaient que j'ouvre enfin mon claque-merde, ce que je fis, n'aimant pas les instants figés, les anges qui passent, les mecs qui reluquent avec insistance.

« J'ai voulu en savoir plus, j'ai trouvé ça cool le concept, mais le problème c'est que votre site internet ne fonctionne pas ! Donc je suis venu comme ça, à l'improviste.

- Notre site internet ne marche pas ? C'est quoi ce mytho ? s'excita Ludwig, sanguin comme une chèvre paniquée.

- Ludwig, dis-moi que c'est faux ! »

Malgré le calme olympien du présumé chef de meute, Ludwig se ravisa, et, timidement, du bout des lèvres, avoua, à demi-mot :

« J'ai peut-être oublié de vérifier cette semaine. Attends, je vais checker. »

D'un doigté toujours aussi ferme, ce tripoteur de Ludwig consulta internet sur son téléphone, à croire que j'étais le seul dans ces patelins reculés à ne pas connaître les bienfaits salvateurs de la 3 G !

« Putain, saletés de vampires ! Ils nous ont encore hacké ! pesta Ludwig, de nouveau empourpré par la colère.

- Et bien, au moins tu auras été utile, Pierre ! »

Cet élan de sympathie m'allait droit au cœur. Malgré l'absence de sourire sur son visage, j'essayais de détendre un peu l'atmosphère. On était potes maintenant, pas vrai ? Je me sentais bien parmi eux, malgré mon envie de foutre la branlée à ce grand gaillard de Ludwig.

« Je pourrais avoir une gorgée de ma bière ? » me hasardai-je, le gosier sec.

Hélas, je n'obtins pour seule réponse qu'une somme d'ordres peu confortables : leur remettre mon téléphone portable, mon portefeuille puis les suivre comme un vulgaire clébard dans une petite pièce sordide, planquée derrière le bar. Une place vacante m'attendait sur une chaise, entre mes deux comparses au visage ensanglantés, ligotés avec des cordes épaisses, bâillonnés : au moins, je n'aurais pas à supporter leurs babillages risibles, leurs petites réussites, leurs élans de condescendance minables. Dans la merde, nous étions tous égaux.