Des Pourris et des Hommes (1/2)

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Un adage fort répandu veut que la curiosité soit un vilain défaut. Soit ! J'y voyais, pour ma part, l'occasion de sortir, prendre un bol d'air, s'extraire du cadre fermenté de ma vie suspendue, histoire de mettre fin à cette ambiance moribonde, sur fond de souvenirs surfaits.

Sans nouvelle de mon cousin, sans cadavre à se mettre sous la dent pour y aller de sa larmichette, tantine Apolline ressassait à perpette les mêmes rengaines, de la gougère aux nonnettes. Ah que son fils était beau comme un dieu - à défaut d'être immortel ! Ah qu'il était doué, cultivé - à des années-lumière de ses racines agricoles ! Ah qu'il était merveilleux : un véritable génie - plus brillant qu'une lampe, qu'un lustre, qu'un lampadaire !

Une tétrachiée de photographies saugrenues de lui déguisé en vampire blafard s'offrait à ma vue, pullulant comme des cafards aux quatre coins du salon. Comme si cela ne suffisait pas, sa tête d'ange pervers jonchait des albums photo interminables. Sur les clichés, il fricotait avec une jolie donzelle, bien racée, du caractère à revendre, disparue elle aussi. Nul besoin d'engager un détective pour savoir qu'ils étaient enterrés sous une crypte puante quelque part en Saône et Loire. Ou bien sirotaient-ils quelques Bloody Mary en Louisiane, devisant sur une terrasse marécageuse, au milieu des moustiques. La belle vie, loin de la déprime dijonnaise !

Je savais qu'il pétait le loustic, mais pas dans la dentelle ni dans la soie. Eh quoi ? Je m'étais fait la réflexion qu'avec elle, je péterais moi aussi n'importe où, et plutôt deux fois qu'une, quitte à en faire des caisses. Tout à fait mon genre de nana, à part qu'elle était mordue elle aussi par cette satanée mode.

Les vampires, décidément, je ne comprenais pas l'engouement pour ces dégénérés et visiblement je n'étais pas le seul ! Une lubie d'homme d'enfants... prétendait tante Apolline qui, quand elle regardait certaines photographies d'Halloween, affichait sur son visage émacié un dégoût simiesque à faire pâlir la compatissante Boutin devant une Gay Pride. L'essentiel, après tout, c'est qu'il n'était pas efféminé comme la plupart de ces tantouses fardées qui minaudent à n'en plus finir dans les films de suceurs.

« C'est dommage que vous vous soyez perdus de vue toutes ces années, se lamentait-elle entre constatations homophobes et gémissements éplorés. Vous vous entendiez si bien !

- On était d'accord sur rien !

- Ben justement, il t'aimait bien ! C'était son petit esprit de contradiction bien à lui. Ah, ça nous manque, si tu savais ! Mais bon, la Moselle, c'est pas la porte à côté. Quel dommage que vous n'ayez pas grandi ensemble ! Vous vous ressemblez tellement ! Tu reviendras nous voir, dis, mon petit ? »

Plus la soirée passait, et plus elle divaguait ! Je comprenais pourquoi ces enflures de Barnabé et Célestin avaient déclinés l'invitation une fois le butin en poche.

Quant à cet empoté de Docteur Alban, suspendu sur sa potée bourguignonne, il était impassible, non pas comme le marbre, mais comme un roc couvert de fientes, perdu dans ses rêves ou largué dans son quotidien. Aucune solidarité quant à cet affront que je venais de subir : moi, ressembler à leur fils ! Le pauvre bougre, il ne pipait mot, n'offrait que silences, subissait les délires de sa femme. Pourquoi ne lui fournissait-il pas une petite poignée d'anxiolytiques ?

Ces deux-là, j'avais du mal à les comprendre. J'étais sans doute mal placé pour les juger : niveau deuil, la seule perte à laquelle j'avais été confronté dans ma misérable existence était celle, déchirante, d'une gerbille albinos dont j'ai oublié le sobriquet. Je l'avais serrée un peu fort dans mes mains et elle m'avait mordue, la garce ! La douleur avait été si insupportable qu'un malheureux réflexe l'avait condamnée : sans même réfléchir, je l'avais fracassée contre le mur ! J'avais mis quelques semaines à m'en remettre, avant d'enterrer son cadavre bouffé par les vers dans une clairière obscure, en creusant un trou avec une cuillère à soupe.

Leur mammifère blafard, cela faisait maintenant trois ans qu'il avait mis les voiles. Pourquoi ne pas en faire autant ? Ou, à défaut, prendre un chien comme placebo, adopter un chiard comme substitut ? Une seconde étape, peut-être, après le vide grenier ?

Alpha, Bêta et Meute de FoinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant