Prologue

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L'air était froid et humide dans la cellule. Alisaän était assis en tailleur au milieu de la pièce exiguë, laissant les pâles rayons du soleil matinal réchauffer son corps. Amaigri par plusieurs jours de régime forcé, une barbe courant sur son visage autrefois glabre, le désormais ex-grand mage ne ressemblait plus à l'homme qu'il avait été jadis. Ironiquement, jadis, c'était il y a à peine quelques semaines. Alisaän ferma ses yeux gonflés de fatigue et, encore unefois, repassa dans sa tête les derniers jours qui venaient des s'écouler. Il aurait vraiment dû se montrer plus méfiant. Iln'aurait jamais dû écouter Nostram. La dernière chose dont il se souvenait, c'était cette foule innombrable qui lui sautait dessus, ces dizaines de mains qui l'agrippaient, hurlant leur haine à plein poumons. Ils les entendait hurler jusque dans son sommeil. Et même maintenant il entendait distinctement cette foule colérique hurler son mépris et sa colère. Mais cela n'était pas qu'un effet de son imagination. Il rouvrit ses yeux et se leva. Depuis que le soleil était apparu à l'horizon, la foule se rassemblait dans la cour,attendant l'heure de son exécution. Il s'approcha de l'uniquefenêtre de la pièce. Dehors, la foule était déjà bien compacte.Tous s'étaient réunis pour assister à ses derniers instants. Tous,autour de cette plate-forme, au centre de la place, en réalité unsimple poteau de bois monté sur une estrade. Lorsque le soleil atteindrait son zénith, il serait mis à mort. Ainsi prendrait finla vie d'Alisaän, le traître. Du moins était-ce ainsi quel'histoire se souviendrai de lui.

Il attendaitdepuis plusieurs heures maintenant. Il avait observé le soleil monter peu à peu dans le ciel, avait vu la foule se densifier. Son cœur tambourinait douloureusement dans sa poitrine. « C'est drôle, pensa-t-il, après avoir eu tout ce temps pour me préparer à la mort, je ressens quand même de la peur ».

Il entendait le bourdonnement du sang dans ses tempes. Il respira lentement,forcant son esprit au calme. Il repassa mentalement sa vie.L'enfance, les premières années à l'académie. Son premier amour,ses hauts-faits qui lui avaient permis de gravir un à un les rangsdes mages jusqu'à arriver à leur sommet, suscitant l'admiration detous, et, dans le même temps la jalousie de quelques uns. Sa première femme. Et bien entendu Trisha, la seule qu'il ait aimé detout son cœur, de toute son âme. Il ferma les yeux et se remémorason visage lorsqu'un bruit dans le couloir attira son attention. Des pas. Au moins quatre personnes. Il se prépara à les affronter, se jurant de se montrer digne jusque dans la mort. Le bruit d'une clef que l'on tourne dans la serrure, celui de la porte qui s'ouvre engrincant sur ses gonds rouillés, il entendait tout celadistinctement, trop distinctement, comme si l'imminence de la mort rendait paradoxalement le monde des vivants plus intense. Puis les gardes entrèrent dans sa cellule, quatre comme il s'y attendait.

- C'est l'heure, dit l'un d'eux, suivez-nous.

- Tiens ? Nostram n'est pas avec vous ? J'aurais cru qu'il viendrait me conduire lui-même à l'échafaud, ironisa Alisaän.

- Le seigneur Nostram n'a rien à faire avec des gens de ton espèce lâcha un autre garde, en crachant aux pieds d'Alisaän.

- Elrim ! Hurla le premier garde.

- Excusez-moi capitaine. S'excusa le second, mais sans s'arrêter de lancer son regard haineux à Alisaän.

- Prisonnier, suivez-nous dis le capitaine des gardes.

Lorsqu'ils sortirent à l'air libre, la foule hurla de plus belle, frénétique,déchaînée. Alisaän commença à avancer, entouré des quatre gardes, qui étaient visiblement plus là pour empêcher que l'on s'en prenne à lui, que pour l'empêcher de fuir. Les gens rassemblés ici hurlaient leur haine et leur mépris avec une rage qui aurait donné des frissons même au guerrier le plus endurci. Mais l'ex grand mage marchait droit devant lui, sourd aux invectives et aux menaces que l'on lui lancait. Dans la foule hétéroclite, Alisaän reconnut quelques visages amicaux, des braves qui risquaient leur vie pour assister à la mort de leur ancien camarade. Ils ne pouvaient plus rien pour lui, bien sûr. Mais le fait de les savoir ici, pour assister à son dernier souffle lui permettit de partir l'esprit serein. Les gardes écartaient la foule péniblement. Alisaän lui,avançait machinalement, l'esprit ailleurs. Il leva la tête et observa la loge où se tenait le roi pour assister à son exécution. A ses côtés, Trisha, la reine, peinait à contenir ses larmes. Plus étonnant, Nostram était là, debout à côté du roi. Il le regardait, un sourire narquois au coin des lèvres. Il sourit,lorsque leurs regards se croisèrent. Ainsi, c'était pour le pouvoir qu'il l'avait trahi. Qu'il les avait tous trahis. Un de perdu contre un de gagné. Mais une place en haut-lieu valait-elle tous ces sacrifices ? « Avance » tonna l'un des gardes derrière lui en le poussant d'un violent coup de hallebarde. Alisaän se remiten route. Arrivés à l'échafaud, ils attachèrent solidement le prisonnier au poteau. Un homme tenant un rouleau de parchemin monta alors sur l'estrade, réclama le silence et commença à lire.

- Alisaän Elendor Visoren, vous vous êtes rendu coupable de crime aggravé contre la Nation d'Erevia en essayant d'attenter à la vie de notre reine bien aimée.

Des hurlements fusèrent de la foule.

- De plus, continua le héraut, imperturbable, vous avez été désigné, par plusieurs sources dignes de confiance, comme le chef de la rébellion visant à détrôner le roi et à prendre le pouvoir. Vous avez fait usage de vos dons magiques pour attenter à sa vie. Et cela est impardonnable.

Les vivats reprirent de plus belle. Quelqu'un dans la foule lança une tomate qui s'écrasa droit sur son visage, provoquant l'hilarité générale.

- En conséquence de ces actes, le roi vous condamne à la mise à mort publique, sans autre forme de procès. De plus, afin que cette trahison abominable ne disparaisse des mémoires, nous déclarons ce jour, jour de l'Epuration. Que chacun ici grave dans sa mémoire l'infamie dont vous vous êtes rendu coupable, et que jamais, personne n'oublie. Avec votre mort, nous enterrons le dernier des mages, et plus jamais, nous n'aurons à subir leurs atrocités.

Des acclamations de triomphe accueillirent ces paroles. Cette fois, lehéraut attendit que le silence revienne avant de continuer.

Concernant votre exécution... commença-t-il

« Qu'on le pende » hurla quelqu'un dans la foule, « Qu'on lui coupe la tête » renchérit un autre,    « Non, qu'on l'écartèle » s'exclama un troisième. Alisaän ne pût réprimer un léger sourire, en pensant que lorsqu'il s'agissait defaire souffrir les autres, les humains se montraient étonnamment inventifs.

- Concernant votre exécution, reprit le héraut, le roi, dans sa grande miséricorde, a décidé que vous seriez brûlé afin de purifier votre âme. Puisse cet acte vous permettre de vous réconcilier avec Léiros.

Des éclats et des sifflements se firent entendre. Des gardes apportèrent des fagots et les disposèrent rapidement aux pieds d'Alisaän. Puis un autre vint le recouvrir d'huile. Enfin, le bourreau arriva, tenant à la main la torche qui mettrait fin à la vie du condamné.

- Accusé, si vous avez une dernière déclaration à faire, faites le maintenant. Lança le héraut.

Alisaän leva les yeux, regarda la foule, jeta un dernier regard vers la loge royale, puis, regardant le ciel déclara:

- Le temps nous jugera tous.

Le roi fit alors signe au bourreau qui embrasa le bûcher.


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Mot de l'auteur: Merci d'avoir pris le temps de lire ce court passage. J'essaierai de publier la suite le plus rapidement possible.

Si vous avez aimé, ou non, un petit commentaire est toujours plaisant à lire. :)

Erevia: Fragments du passéWhere stories live. Discover now