- Chapitre 5-

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– 10 mois plus tôt –


Dehors, la nuit est noire, et seules les fenêtres éclairées des maisons alentour me permettent de distinguer la route. On est en août et, malgré l'heure tardive, il fait une chaleur à crever, mais ça vaut mieux que d'étouffer sous l'avalanche de bons sentiments de mon oncle. Pourquoi a-t‑il fallu qu'il gâche tout ?

De toute façon, j'allais finir par être à court de weed et, à force de me bourrer la gueule en piquant ses bières premier prix, je commençais à avoir des aigreurs d'estomac.

À mesure que j'avance, je sens l'angoisse s'atténuer. Dans le lointain, on n'entend que les murmures du centre-ville et, de temps en temps, le passage d'une voiture ou le long gémissement d'un bateau sur le Mississippi. Ça doit faire deux heures que j'erre dans les rues quand je vois se profiler les frontons aux lettres grecques d'un quartier universitaire.

Je slalome entre les bennes à ordures et les montagnes de cartons vides. Les élèves de la fac doivent être en train d'emménager. Août, c'est le bon moment pour sortir partout où il y a des étudiants. Ils reviennent avant la rentrée et, eux, ils ne manquent jamais de rien. Au cours de leurs soirées, l'alcool coule à flots et la drogue circule sans que personne sache qui a payé quoi.

Je poursuis dans cette direction, jusqu'à percevoir les signes d'une fête. Je m'approche et découvre un perron assailli par des jeunes éméchés. Jackpot. C'est là que je vais trouver ma weed.

Personne ne me refuse l'entrée. À l'intérieur, l'ambiance est électrique. La maison est pleine à craquer, je dois jouer des coudes pour me frayer un chemin. Je ne vais pas bien loin, car un mec m'attrape par l'épaule pour m'attirer à lui.

– Hey ! Tu serais pas le frère de Shannon ? hurle-t‑il à mon oreille.

Son haleine avinée me donne la gerbe et la manière qu'il a de se tenir à moi ne me rassure pas. Il continue de parler, mais je n'entends rien de ce qu'il me raconte. Puis son attention est attirée par quelqu'un d'autre, et j'en profite pour tracer ma route sans demander mon reste.

Je trouve la cuisine et, par la même occasion, l'alcool. Des bouteilles sont empilées dans l'évier. Il y a de tout : vodka, tequila, rhum. Je me sers un verre au hasard et le descends cul sec, avant d'en prendre un autre. Très vite, la musique me ronge les tympans. Je suis là depuis à peine dix minutes et les vibrations des enceintes me donnent déjà envie de hurler. Je remplis à nouveau mon gobelet et prends la direction de l'étage sans m'attarder. C'est toujours plus calme en haut, et c'est là qu'on trouve les fumoirs, en général.

Arrivé au premier, je me fais bousculer par un type qui émerge d'une chambre avant de dévaler l'escalier en chancelant. Entre ça et l'odeur qui émane de la porte entrouverte, je conclus que je suis au bon endroit. Dedans, une dizaine de personnes discutent par terre, dans la faible lumière d'une lampe à lave.

Un mec me fait signe du menton, comme si on se connaissait, et je n'ai pas besoin de plus pour aller m'asseoir sur un coussin à côté de lui. On me tend un joint, je tire une taffe, puis deux, avant de le faire passer. Je m'adosse contre le mur et je ferme les yeux un instant. J'essaie de faire le vide, mais je n'y parviens pas. Les paroles de Cliff me reviennent et je pense à ce qui m'attend encore ici, à La Nouvelle-Orléans. Ça me fout encore plus le cafard. Je m'enfonce dans la morosité et, lorsque je m'intéresse à nouveau à ce qui m'entoure, je me rends compte que l'atmosphère a changé.

Les rires fusent et, au sol, une bouteille tourne sur ellemême pour désigner une victime. Merde. Avant qu'elle ait eu le temps de s'arrêter sur moi, je me lève, bien décidé à m'éloigner de ce jeu de malheur. De la vodka traîne sur la table de chevet. Je m'en saisis et, tout en buvant au goulot, me dirige vers la porte-fenêtre qui donne sur une petite terrasse. Dehors, je m'accoude à la balustrade, mais ma tranquillité est de courte durée. Une fille me rejoint et, sans un mot, me prend l'alcool des mains pour boire à son tour.

– T'es en première année ? me demande-t‑elle sans autre forme d'introduction.

– Euh... réponds-je, pas sûr de m'en sortir sur ce coup-là. Ouais.

– Stressé ?

Elle me fixe, un air amusé dans ses yeux noirs bridés. Les bretelles de son haut révèlent ses fines clavicules et mon regard glisse malgré moi le long de sa peau brune et satinée. Voyant que je n'ai pas l'intention de répondre, elle poursuit :

– Moi, je suis en troisième année. Psychologie, préciset‑elle sans que j'aie demandé quoi que ce soit. Je suis pas mécontente de quitter l'internat. C'est pourri, tu vas voir. Là, on a pris une maison en coloc avec des potes, c'est largement mieux.

Je sens qu'elle va me les briser. Sa voix m'agace déjà. Sans lui prêter plus d'attention, je sors mon paquet de clopes de ma poche arrière. Comme pour la vodka, elle m'attrape la cigarette des mains sans la moindre gêne. Je la fusille du regard et elle me répond par un sourire plein d'assurance.

Elle est sérieuse, là ?

Je la dévisage alors qu'elle allume ma clope et tire une taffe dessus. De l'autre main, elle fait semblant d'épousseter mon épaule. OK, donc elle me parle depuis à peine cinq minutes et elle se permet de me toucher. Aussi mal à l'aise que soûlé, je finis par ressortir mon paquet.

Elle me raconte sa vie et me détaille ses choix d'études, ses films préférés et même ses goûts en matière de pizza. Je suis presque tenté de l'embrasser juste pour la faire taire. En venant ici, j'espérais que tout le monde serait trop défoncé pour faire la conversation, et voilà que la nana débite plus de mots à la minute que moi pendant une journée entière.

– Tu veux t'envoyer en l'air ?

Sa question me fait l'effet d'une bombe. J'avale ma gorgée de vodka de travers, mais je m'efforce de garder contenance. Je m'essuie la bouche sur ma manche et je fixe la meuf jusqu'à ce qu'elle confirme :

– Alors, tu viens ?

– Si j'accepte, tu me foutras la paix ?

Elle sourit. Elle n'est même pas vexée. 

D'où elle sort, celle-là ?

– C'est toi qui en redemanderas quand on aura terminé.

Elle me tire par le tee-shirt, et je me laisse entraîner.

La nuit où les étoiles se sont éteintesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant