- Chapitre 7 -

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– 9 mois plus tôt –


Je ne redoute pas d'être le nouveau à Lusher Charter School. Je n'en ai juste pas envie. Pas envie de parler aux gens, pas envie de m'intégrer, pas envie de faire semblant. Et puis, comme si mes emmerdes ne suffisaient pas, la saison des ouragans n'en finit pas et on se prend des trombes d'eau sur la gueule depuis des jours. Mon vélo fend des flaques grandes comme des piscines au moment où je vois la silhouette du lycée se dessiner dans la grisaille.

Quand mon oncle me l'a décrit, j'ai tout de suite compris que ce ne serait pas un établissement pourri comme ceux que j'ai fréquentés à Houston. Comme la scolarité y est gratuite et la formation excellente, la sélection s'effectue sur dossier. Vu l'état du mien, je ne me faisais pas trop d'illusions mais, apparemment, Cliff a une amie qui m'a pistonné. S'ils croient pouvoir tirer quoi que ce soit de moi, ils risquent d'être déçus.

Je m'arrête devant la grille noire et me dépêche de cadenasser mon vélo, avant de pénétrer dans le bâtiment. Dans le hall, c'est l'heure des retrouvailles : tous les élèves sont ravis de se revoir après les vacances d'été. Tout semble aller parfaitement bien dans leurs petites vies sans problème, et j'aimerais pouvoir en dire autant.

J'essaie de me repérer en faisant abstraction de ces sourires stupides qui me donneraient presque des envies de meurtre. Je rabats la capuche de mon sweat détrempé sur mon visage et file à mon premier cours, mais je peine à trouver mon chemin. Un surveillant m'indique la direction de ma salle de classe, puis détourne son attention de moi quand quelqu'un l'appelle de l'autre côté.

– Monsieur Johnson ! Sasha est tombé dans l'escalier !

Je ne m'attarde pas et tourne les talons pour me diriger vers ma salle. À l'intérieur, pas mal de places sont déjà occupées et je suis accueilli par des regards en coin. Ils se connaissent tous, évidemment. Dernière année de lycée, c'était à prévoir. Moi, je suis le nouveau et, avec mon air de marginal, je ne passe pas inaperçu.

Je m'installe au fond de la classe et tente d'oublier tout ce bruit qui me rend fou : les raclements des chaises sur le sol, les claquements de portes au loin et, surtout, les rires trop joyeux de mes nouveaux camarades qui se racontent leurs vacances de rêve.

Moi, qu'est-ce que j'ai fait ces derniers mois ?

Je laisse mon regard vagabonder par la fenêtre, où la grille noire de l'entrée ne laisse entrevoir que la route grise et le défilé monotone de quelques voitures. À cette vision fade se superpose celle, lumineuse, de ma mère. Je n'ai pu la voir qu'une fois de tout l'été et, quand Cliff l'a eue au téléphone, il a eu la bonne idée de lui parler de cet établissement.

Si ça n'avait tenu qu'à moi, je ne me serais jamais pointé pour la rentrée. Je serais resté enfermé dans ma chambre pour ne plus jamais en sortir. La seule raison pour laquelle je me suis traîné hors du lit, ce matin, c'est ma mère, le souvenir de son visage rayonnant de fierté lorsqu'elle a su que j'avais été accepté. C'est l'image à laquelle je me raccroche pour ne pas me tirer de cet endroit.

– Hey, toi là-bas !

Pendant une fraction de seconde, je ne reconnais pas cette voix et je me dis qu'elle doit s'adresser à quelqu'un d'autre. Et puis, très vite, j'y associe un visage.

Ma première réaction, c'est de prier. Pourvu que ce ne soit pas elle...

Je tourne lentement la tête et je la vois. La meuf de la soirée de fraternité, celle qui m'a entraîné pour baiser sans plus de cérémonie. La reloue qui parle trop.

Mais qu'est-ce qu'elle fout là, bordel ?

Juchée sur le dos d'un grand mec noir en baggy et Jordans, elle me sourit de toutes ses dents. Son pote affiche un air enjoué, lui aussi, mais rien comparé au bonheur que je lis

dans les yeux sombres et bridés de la meuf. Elle se penche pour lui murmurer quelques mots, puis l'enlace en manquant de l'étrangler avant de sauter à terre. Elle se dirige vers moi d'un pas bondissant, et là, je sais que je suis fini.

– Mais oui, c'est bien toi ! Mon vagin et moi, on te reconnaît !

Non mais elle est sérieuse ? Elle n'a même pas pris la peine

de parler tout bas. Je la soupçonne d'ailleurs d'avoir haussé le ton exprès pour attirer l'attention. Bien joué. Autour de nous, les gens étouffent des ricanements qui me glacent jusqu'à la moelle. Aux quatre coins de la classe, des élèves se retournent pour assister au spectacle. Elle s'installe à côté de moi et sort ses affaires.

– Comment tu vas ? demande-t‑elle comme si elle ne venait pas de m'humilier publiquement.

Elle joue avec mes nerfs, ça va être difficile de garder mon sang-froid. Je ne décroche pas un mot, espérant que ça suffise pour qu'elle passe à autre chose. Le mieux serait qu'elle se tire, mais je sais que je peux faire une croix làdessus lorsque son pote prend la place devant moi. Il salue son voisin, qui tourne sa gueule de bon petit chrétien vers la fille pour échanger des banalités avec elle. Apparemment, le premier s'appelle Kurt et le deuxième, Jaeger. Je profite de ce répit, mais elle revient déjà à la charge :

– Toujours aussi bavard, à ce que je vois. Ta première année à l'université se passe bien ?

– Et ta troisième année ? rétorqué-je avec ironie.

Elle suspend ses gestes, son classeur encore à moitié dans son sac à dos, et un air amusé se peint sur ses traits.

– Après un mauvais coup à une soirée étudiante, j'ai décidé de retourner au lycée et de faire voeu de chasteté jusqu'au mariage.

– Je me suis fait la même réflexion.

– Ça m'étonnerait.

– Ah ouais ? Et pourquoi ?

– Parce que j'ai été le meilleur coup de ta vie.

Elle sait qu'elle est sexy – et jolie, par-dessus le marché, avec ses yeux en amande et son teint ambré. Et elle n'a pas tort : c'est vraiment le meilleur coup que j'aie jamais eu, mais ça ne m'empêche pas de regretter de m'être envoyé en l'air avec elle. Peu importe ce qu'elle est capable de faire avec son corps, rien ne vaut la peine de se coltiner une cassecouilles pareille.

Satisfaite de son petit stratagème, elle se désintéresse de moi et se perche sur le rebord de sa table pour parler à ses potes de devant. Le puritain tiré à quatre épingles fait une blague, à laquelle ils rigolent sans aucune discrétion, puis son pote à l'afro dégradée lève ses pieds pour montrer ses nouvelles sneakers. À les entendre, on dirait qu'ils ont passé une partie de l'été ensemble. Je ne sais pas comment ils font, mais ils ont l'air de supporter la chieuse, et ça me dépasse.

– Kenna McKenzie, veuillez vous asseoir convenablement, ordonne le prof en entrant dans la salle.

Ma voisine interrompt son monologue et repose son cul sur sa chaise.

– Vos désirs sont des ordres, monsieur Garcia, chantonnet‑elle.

Kenna McKenzie.

Voilà un nom que je ne risque pas d'oublier.

La nuit où les étoiles se sont éteintesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant