- Chapitre 16 -

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– 8 mois plus tôt –


Je ne vais jamais obtenir mon diplôme.

Quand Mme Steiner plaque ma copie devant moi, l'énorme D entouré trois fois me brûle les yeux. Elle n'est pas du genre à maltraiter ses élèves mais, entre les heures de colle, les clopes confisquées tous les trois jours et mon insolence, je ne me suis pas fait que des amis dans l'administration. Et puis il y a mes notes.

Du coup, je me sens obligé de mentir pendant les quinze minutes que je passe au téléphone avec ma mère toutes les deux semaines. Je suis trop lâche pour affronter sa déception, même à distance. Les bulletins seront envoyés chez Cliff, donc elle ne sera pas au courant avant un moment. Ensuite, elle réclamera mon relevé de notes, et là, je devrai lui expliquer que, même dans ce lycée parfait, je ne suis pas certain de m'en sortir. Et ça, je ne sais pas si j'en serai capable.

Voilà ce qu'il représente pour moi, ce D écrit à la va-vite par une prof excédée. Pour elle, ce n'est qu'une déception rapidement oubliée. Pour moi, c'est tout ce que je ne pourrai jamais offrir à ma mère, moi qui n'ai déjà pas réussi à la protéger.

Mes yeux glissent sur la copie noircie de mon écriture et raturée de partout – en rouge, comme autant de blessures – et, soudain, je me sens submergé. Dès que la sonnerie retentit, je chiffonne le devoir et, les mains tremblantes, le fourre dans mon sac. Je sors de la salle en trombe. Filant entre les casiers bleus du couloir encore désert, je me réfugie aux toilettes pour dissimuler ma détresse.

Heureusement, elles sont vides quand je rentre. Je me cramponne au lavabo et le contact froid de la porcelaine me permet de recouvrer mes esprits. En face de moi, dans le miroir, je ne reconnais pas ce mec brun qui me regarde. Il a les traits tirés et des cernes creusés. Il a l'air vieux et fatigué. C'est bien la tronche d'un bon à rien, sinon à décevoir tous ceux qui l'entourent.

Une larme dévale ma joue et je m'empresse de l'effacer d'un revers de main, mais une autre prend le relais, et encore une autre. Fait chier !

Quand j'entends la porte s'ouvrir dans mon dos, mon coeur se fige. J'ai le réflexe de me détourner pour cacher mon visage.

– Désolé... Je t'ai vu sortir à toute vitesse du cours d'éco.

Je relève la tête. Dans le miroir, à côté de l'adolescent lessivé, une gueule d'ange apparaît. Son visage est lisse et frais comme celui d'un chérubin. Ses yeux bleus rient alors qu'il ne sourit même pas.

Nate.

On échange un long regard, sans même se faire face. Puis il pose une main sur mon épaule, mais je me dégage d'un geste brusque.

– Lâche-moi.

Nate recule d'un pas, mais il n'a pas l'air blessé par ma réaction. Il reste impassible, comme s'il attendait que la tempête passe pour pouvoir s'approcher.

Qu'il foute le camp, bordel !

De nouvelles larmes, brûlantes, menacent de déborder. Je m'asperge d'eau et reprends contenance peu à peu.

– Ça va aller, tu sais, déclare Nate d'une voix douce. Si ce sont tes notes qui t'angoissent, ce n'est pas désespéré.

– Ah non ? Qu'est-ce que t'en sais ? réponds-je, acerbe.

– C'est pas évident, ce qu'on nous fait faire. Il y a beaucoup à retenir et, parfois, les profs n'aident pas. C'est juste une histoire de méthode et tu n'as pas encore trouvé la tienne, mais ça va venir.

– Épargne-moi ton baratin, Adams, l'interromps-je.

– Ce n'est pas du baratin !

Il rigole et... c'est bizarre. Son rire me percute. Comment peut-il rayonner quand, autour de moi, tout semble si sombre ? J'ai l'impression de me noyer dans un océan de solitude et lui, il débarque avec ses manières de poète et ses airs de joli coeur.

– Tu piges que dalle, rétorqué-je.

Je veux couper court à la conversation et m'enfuir loin de lui  et de sa petite vie sans problème.

– Attends ! s'exclame Nate au moment où je le contourne pour sortir.

Il me saisit par le bras et, cette fois, je ne le repousse pas. Je le dévisage d'un oeil assassin, histoire de lui montrer que, quelles que soient ses intentions, c'est perdu d'avance. Il faut que lui, Kenna et les autres arrêtent de vouloir fraterniser avec moi.

– Je vais t'aider, dit Nate dans un murmure.

– Tu peux pas.

– On peut faire nos devoirs ensemble, si tu veux, reprend-il comme s'il ne m'avait pas entendu. Pour les cours qu'on a en commun. Tu verras, ça va aller.

Pendant un moment, je ne fais rien d'autre que sonder ses yeux. Je veux comprendre ce qui le pousse à vouloir me sortir de la merde, mais il n'y a ni pitié ni charité dans ses prunelles bleues.

– Pourquoi tu veux m'aider, Adams ?

Il me lâche enfin le bras et glisse, avec désinvolture :

– Pour éviter que Kenna te le propose avant moi.


La nuit où les étoiles se sont éteintesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant