- Chapitre 6 -

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– Début de l'été –

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– Début de l'été –


Ça fait déjà plus de cinq heures qu'on roule en direction de Memphis.

Je m'enfonce dans la banquette arrière pour m'étirer les jambes. Devant moi, sur le siège passager, Kurt agite la tête en suivant la musique. Nate lui aussi est à fond. Une décharge d'adrénaline semble le parcourir à chaque impulsion que reprend la batterie, et il remue ses boucles blondes au rythme des riffs de guitare électrique. Je pourrais me réjouir de le voir si heureux, s'il n'était pas au volant. Vu qu'il ne regarde devant lui qu'une fois sur deux, je commence à me dire qu'on est tous condamnés.

Au bout d'un moment, Kenna ordonne à Kurt et à Nate de baisser le volume parce qu'elle a un coup de téléphone à passer. Je crois qu'aucun de nous n'a envie de savoir qui se trouve au bout du fil. En dix minutes, j'apprends plus de mots sales qu'en dix-neuf ans d'existence. Même sa voix a changé, c'est dégueulasse...

– On sera là dans une semaine, t'en fais pas. On s'arrête d'abord à Memphis et à Nashville, mais purée... Ce que j'ai hâte d'être à Bloomington ! Tu vas voir ce que je vais te faire en arrivant. Tes étudiantes soi-disant expertes n'ont qu'à bien se tenir !

Je croise le regard de Kurt dans le rétroviseur et on détourne les yeux en même temps.

– C'est toi qui vas crier, oui ! s'exclame-t‑elle en éclatant de rire.

Je ne suis pas du genre timide au lit ni contre un peu de dirty talk de temps en temps, mais là, devant les autres, je suis plus gêné qu'autre chose. Et puis bon, ce n'est pas comme si, à chacun des mots de Kenna, je ne revoyais pas son corps ondulant au-dessus du mien.

Quand elle raccroche, Memphis se découpe enfin à l'horizon.

Lorsque Nate arrête la voiture devant notre motel, le visage de Jaeger se décompose. Entre le crépi défraîchi de la façade et la vieille piscine vide, ça ressemble à un taudis. Heureusement, l'intérieur est plus accueillant, même s'il n'y a que deux lits doubles dans la chambre. Pendant ce voyage, il va falloir faire l'impasse sur notre espace vital, parce qu'on va devoir se taper un lit pour trois à tour de rôle.

Après avoir abandonné mon sac dans un coin, je m'étale sur l'un des matelas comme si j'étais seul au monde. Le trajet m'a tué.

– C'est toi qui as réservé ce motel pourri ? s'agace Jaeger en fusillant Kenna du regard.

– Pourri, pourri, tout de suite les grands mots !

– Il n'y a que deux lits, Kenna ! Tu te fous de nous ?

– T'as qu'à dormir avec moi, tu verras si c'est si pourri queça ! raille-t‑elle avant de se jeter sur moi.

Avant que j'aie le temps de la repousser, elle s'amuse déjà à rebondir sur le matelas, pour simuler le bruit que ça ferait si Jaeger consentait à « dormir » avec elle, m'écrasant un peu plus au passage. Au moment où je parviens enfin à me libérer, Jaeger part s'enfermer dans la salle de bains, l'air aussi soûlé que moi. Les murs sont tellement fins qu'on l'entend tous pisser et Kenna ne manque pas de le lui faire remarquer. Pendant ce temps-là, Kurt s'offusque que le mini-frigo soit vide. Seul Nate reste silencieux. Je le vois ouvrir tous les tiroirs de la chambre, des tables de chevet au meuble télé.

– Il n'y a pas de bible, lâche-t‑il enfin en se tournant vers nous.

C'est vrai qu'on en trouve toujours une dans les hôtels, mais je ne comprends pas sa soudaine obsession. Ce n'est pas comme s'il allait faire une petite prière avant de se coucher.

Une lueur exaltée éclaire soudain ses yeux bleus. Il a une idée derrière la tête. Kenna lui chuchote un truc à l'oreille et les voilà qui sortent de la chambre avec précipitation. Après un coup d'oeil intrigué à Kurt et à Jaeger, je suis le mouvement et on se dépêche de suivre les deux acolytes jusqu'à la réception.

Nate et Kenna marchent d'un pas fébrile en se faisant des messes basses. Elle le reboutonne jusqu'au ras du cou tandis qu'il aplatit ses cheveux sur son crâne. Un costume de scène en deux temps, trois mouvements. Avec sa gueule d'ange, il a plus que jamais l'air d'un communiant.

À l'accueil, un petit homme brun porte un tee-shirt au logo du motel. Il regarde distraitement la télé, avachi sur une liasse de papiers en bordel sur le comptoir. Il se redresse d'un bond en nous voyant débarquer et, putain, j'ai déjà pitié de lui. Il n'a aucune idée de ce qui l'attend.

Kurt, Jaeger et moi nous posons sur les canapés qui font l'angle, prêts à assister à la nouvelle prestation du grand Nathanaël Adams. Le spectacle promet d'être fantastique, il ne me manque plus que le pop-corn.

– Bonsoir, monsieur. Que puis-je faire pour v...

– Ça ne va pas du tout, s'agace Nate en secouant la tête.

– Pardon ? demande le réceptionniste, déconcerté.

– Ça ne va pas du tout ! répète Nate en détachant chaque mot. Je n'ai pas trouvé de bible dans ma chambre !

Kenna pose une main bienveillante sur son épaule, comme pour l'apaiser, mais il se dégage aussitôt.

– Ne me touche pas ! éructe-t‑il dans un cri étouffé. Qui sait ce que je pourrai te faire si rien dans ce motel ne se dresse entre toi et moi !

Il frappe le comptoir d'un geste fiévreux et l'employé écarquille des yeux ahuris. Nate respire de plus en plus vite et,dans un râle effrayant, continue sur sa lancée :

– C'est ça que vous voulez ? Que j'abandonne Dieu et que je m'adonne à la fornication avant le mariage ? Je ne peux pas, non, il ne faut pas, je ne peux pas...

Il secoue la tête de plus en plus frénétiquement, tout en répétant « Je ne peux pas, il ne faut pas, je ne peux pas...», dans une litanie qui frise la démence. Le réceptionniste ne sait plus quoi faire. On ne doit pas avoir de formation « exorcisme » quand on prend un poste dans un motel. Je vois à son regard qu'il est hypnotisé par Nate, qui finit par s'écrier :

– ALLEZ ME CHERCHER UNE PUTAIN DE BIBLE OU JE DÉFLORE MA FIANCÉE DANS LE HALL DE VOTRE HÔTEL !

À ces mots, l'employé sursaute, esquisse un pas en arrière et trébuche avant de s'enfuir sans demander son reste.

La nuit où les étoiles se sont éteintesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant