- Chapitre 8 -

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– 9 mois plus tôt –


Vendredi.

Déjà cinq jours que je subis ce lycée. 

Tous les matins, en enfourchant mon vélo, je me demande ce que je fais là. L'établissement a beau être gratuit, les élèves défavorisés ne sont pas majoritaires. Tout le monde a l'air propre sur lui, bien habillé, bien coiffé. Moi, je porte toujours les mêmes fringues noires un peu trop grandes. J'ai encore perdu du poids durant l'été, bien que j'aie cessé les combats. Ça me manque, je crois.

Pas étonnant que je fasse tache parmi tous ces fils à papa. Ça me fout tellement mal à l'aise que, dès que j'ai un moment de répit dans la journée, je me cale derrière les poubelles du lycée. Même pendant la pause déjeuner, je préfère me poser là pour fumer que me mêler au boucan des conversations et des couverts qui s'entrechoquent.

En tirant une nouvelle taffe sur ma cigarette, je regrette qu'il n'y ait que du tabac à l'intérieur. Je tente de me faire une raison quand une ombre s'interpose entre moi et le soleil. Je lève les yeux vers la silhouette qui se dessine à contre-jour.

Évidemment, c'est elle. Kenna McKenzie.

– C'est moi que tu fuis, ou les gens en général ?

L'éviter est devenu l'activité la plus épuisante de ma vie.

J'arrive à la sonnerie, je m'efforce de sortir suffisamment vite pour qu'elle ne puisse pas voir où je disparais et, tant que je suis enfermé dans cette putain d'école, j'alterne entre les chiottes et ce havre de paix, derrière ma benne à ordures. Maintenant qu'elle m'a débusqué ici, il ne manquerait plus qu'elle me suive jusque dans les toilettes des mecs pour qu'on passe en code rouge harcèlement.

Je m'apprête à lui faire connaître ma façon de penser, mais elle me coupe dans mon élan :

– T'en fais pas, je sais ce que tu vas répondre.

Elle s'assoit à côté de moi et me pique ma clope des mains. J'ai envie de lui dire d'arrêter de faire ça mais, au moins, quand elle fume, elle ne me parle pas. Du coup, je me contente d'en allumer une autre sans un mot. Malheureusement, ça ne dure pas, car elle écrase déjà le mégot sur le bitume avant de se lancer dans l'interrogatoire que je redoutais :

– Tu viens d'où ?

J'ignore sa question. Parce qu'après « Tu viens d'où ? », il y a « Pourquoi tu as déménagé ? », et je n'ai envie ni de mentir ni de me confier. Surtout pas à cette emmerdeuse de première.

– Je finirai bien par te sortir les vers du nez, j'ai toute l'année scolaire pour ça. Bref ! Tu fais quoi le 23 septembre ?

– Sûrement quelque chose.

– Mais bien sûr, rétorque-t‑elle comme si ma réponse n'avait aucune importance. Je fête mon anniversaire et je voudrais que tu viennes. Ce sera chouette, tu verras ! Bonne musique, alcool et même ma chambre disponible pour toi et moi, si tu veux.

Je ne sais pas si je dois être choqué ou blasé. Je ne risque pas de me pointer à sa soirée d'anniversaire. Si elle a cru le contraire, c'est qu'elle n'a rien compris aux signaux que je lui envoie depuis le début de la semaine.

– C'est quoi ton Facebook ? Je vais t'envoyer l'invitation avec tous les détails !

Cette fois, je retiens un rire nerveux. Avant que j'aie eu le temps de lui répliquer que je ne suis pas sur ces conneries de réseaux sociaux, elle enchaîne déjà :

– Mon Dieu ! J'en ai connu, des taciturnes, mais des comme toi, jamais. T'es dans un truc genre protection des témoins et tu ne peux rien me dire au risque de mettre ma vie en danger ?

Quoi ? Non mais d'où elle sort ces idées ?

Je la jauge avec mépris, sans répondre.

– Me regarde pas comme ça, lâche-t‑elle. Ça me donne l'impression d'avoir affaire à un criminel et ça m'excite.

Elle rapporte tout au sexe, ma parole ?

– Alors, j'ai raison ? C'est ça ?

Je continue de fumer, et mon mutisme lui permet de partir dans un monologue dingue sur mon passé : elle va jusqu'à imaginer que mes parents et moi sommes des agents secrets et que, pour protéger ma couverture, je ne peux me lier d'amitié avec personne. Putain, elle a vraiment le débit de paroles de dix personnes !

Mon dernier espoir est de la fuir, alors je me lève et j'écrase mon mégot sous ma semelle pour retourner en classe. C'est là que je me rappelle que mon prochain cours est avec elle. Elle me suit en continuant de jacasser. Je crois que mon cerveau va imploser si je l'entends une seconde de plus. Je fais demi-tour sans attendre, mais elle me rattrape.

– On dirait que le jeune espion a encore besoin d'entraînement pour mémoriser le plan du bahut, s'amuse-t‑elle. La salle est par là. 

Je l'ignore et poursuis mon chemin vers le portail.

– Mais tu vas où ? s'écrie-t‑elle.

– Pour répondre à ta question, c'est bien toi que je fuis.

Et, juste comme ça, je me barre du lycée. Cinq jours et je sèche déjà. Voilà qui va rendre ma mère fière, mais je ne peux pas m'en empêcher. Tout, plutôt que de subir cette chieuse de Kenna.

Bordel, si seulement je ne me l'étais pas tapée.

La nuit où les étoiles se sont éteintesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant