K comme Krys

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Au lycée, les gens aiment beaucoup parler d'amour, de bêtises et de ragots. Dans ces moments-là, je préférais m'enfoncer dans mon siège et attendre que l'heure passe rapidement.

Les gens ne m'intéressaient pas, ceux que je fréquentais en tout cas. Le monde autour de moi était peuplé d'une foule de personnes coulant dans la bêtise humaine, celle de la société.

Ils avaient leurs aprioris déplacés, leurs regards lourds de reproche et cette façon inhumaine de classer les personnes dans des rangs et classes sociaux.

Je faisais partie des « oubliés ». Je l'étais, une fille qui se faisait discrète pour planifier au jour le jour sa liberté. Je n'attendais que ça, ma majorité.

Cette nuit, j'avais passé la nuit dehors. Les étoiles me fuyaient, le ciel était recouvert d'une profonde couche de nuages. C'était d'une laideur sans nom, et pourtant je me perdais à l'intérieur. Cette masse difforme me ressemblait.

L'être humain pouvait être contenu dans un simple dé. Nous étions des sujets d'un vide constant que seul les personnes de mon idéologie pouvaient comprendre. Atomique. Car les sociétaires ne comprenaient pas la notion de vide.

Dans l'enceinte de l'établissement, une personne ignorante me considérait comme une probable amie. C'était Swan, frère d'une fille au nom d'une pierre précieuse et meilleur ami d'un sociétaire radicalement trop poussé.

Ce gars me suivait sans cesse, à la recherche d'un moyen de comprendre et cerner ma façon de voir les choses. Les mœurs de ma tradition étaient pourtant simples, il n'y avait que la liberté qui comptait.

- Mais Krys, je ne comprends pas, à quoi ça te sert de rendre une copie blanche à un examen de maths ? Demanda-t-il avec obstination.

Avec un rictus désagréable, je m'arrêtai. Ce n'était pourtant pas compliqué, d'une spontanéité envahissante.

- Car les professeurs de maths sont des sociétaires qui n'arrivent pas à se défaire de la notion de logique. Ils ne jurent que par cette seule et unique logique. Alors la copie blanche casse cette logique. Et pour casser la logique d'une copie blanche, j'ai pris une feuille noire pour la remplacer. Une copie noire de la liberté. Expliquai-je brièvement agacée.

Ses sourcils se redressèrent et il se massa la nuque.

- T'es vraiment spéciale Krys, je crois que c'est pour ça que je t'aime bien. Lança-t-il en me souriant.

Je le poussai légèrement, pas question de faire ami-ami avec cet abruti au nom qui sonnait comme le pauvre cygne d'Anderson.

- Alors pourquoi tu vas en cours ? Ça te rend sociétaire j'trouve. Répliqua-t-il fier de sa remarque.

Un nouveau soupir s'échappa de mes lèvres. Quel gâchis. Il vaudrait mieux qu'il se taise à jamais.

- Car l'apprentissage n'est pas sociétaire. Elle est juste assez dans la marge pour me permettre de la respecter. Les matières comme l'arts plastiques, la philosophie et la littérature sont des sociétaires qui m'intriguent. Alors je dois les suivre. De toute façon, j'ai des parents chez moi et la vie n'est pas aussi facile que cela. Contai-je en me dirigeant vers la salle C18.

Il fronça les sourcils.

- Où vas-tu ? On a cours d'histoire en C15. Rappela-t-il en sortant son emploi du temps.

Quel con.

- J'ai opté de préférence au cours de la classe inférieure B en littérature germanique en C18. Bien plus captivant. Maintenant laisse-moi tranquille et va retrouver ton gay refoulé. La liberté Swan, ça se contrôle de temps en temps. Puis l'histoire est la pire des matières qui soit d'après moi, notre société décrédibilisée découle de ce savoir de dates et de guerres. Terminai-je en rentrant dans la salle.

Assise par terre et adossée contre le mur, je fixai les regards de ces 11th grade en plein jugement sur ma présence douteuse. Ces êtres inoffensifs qui se croyaient capables des plus grands exploits. Foutaises, ils ressemblaient à des vagues nuages de poussière.

- Qui es-tu ? Et pourquoi t'assois-tu par terre ? Les élèves doivent retrouver leurs tables respectives. Débuta une fille bronzée.

Je remarquai son badge ridicule de déléguée du lycée et sortis silencieusement mes feuilles brunes avant de répliquer :

- C'est clair qu'une saboteuse de ton genre peut me faire des réflexions de ce style. Je ressens la nécessité d'avoir un angle de vue particulier pour voir les lèvres de la prof d'allemand se mouvoir en synchronisation. Les syllabes des poèmes seront alors plus distrayantes et je reconnaîtrais en cet art négligé, le besoin d'une plus belle société.

Elle devint livide. Touchée, coulée, la pauvre. J'avais l'air d'une peste quand j'y repensais, ainsi, avec une voix douce pour la rassurer, je lui conseillai en me levant :

- Je suis un peu dure avec toi. Mes libertés me permettent de te donner un bon conseil. Plaque ton mec, plus gay tu meurs.

Et je me rassis calmement. Les autres dans la classe, bouche bée et horrifiés, tentaient désespérément de cacher leur choc. Je leur souris tendrement.

- Vous êtes bien ignorants et fermés d'esprit. Vous êtes ainsi, d'après mes théories, dans la cage de la terrible société. Retournez à vos occupations, la mini-jupe de la fille de devant semble être plus intéressante que l'avenir d'un peuple civilisé... Lâchai-je d'un air moqueur.

La prof rentra à cet instant. Je chronométrai mon temps de silence avant de crier en allemand la traduction de mes mots favoris.

Au final je n'étais pas vraiment une oubliée.

J'étais bien plus singulière qu'un simple oubli dans le trou béant de la postérité.

AlphabetWhere stories live. Discover now