U comme Ulysse

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Giana me regardait. Se faire plaquer par sa relation d'une semaine et quelques n'était pas réellement douloureux mais sentir la présence de celle qui vous bouffait les pensées si près mais si éloignée vous ronger jusqu'aux entrailles de l'âme.

La maison était bondée de monde, cela faisait une bonne heure que tout le monde désertait le jardin pour rentrer ou se poser quelque part à l'étage. Il ne restait plus qu'elle et moi en train de nous fixer.

Giana était assise au bord de la piscine, sa main jouant avec l'eau. Moi collé au muret, je la contemplais.

Dans une relation compliquée, les sentiments n'avaient pas réellement leur place. Le plus flagrant des maux résidaient dans le passé et ses conséquences désastreuses. Avec ma bande de potes, j'arrivais à penser à autre chose, à croire que tout ce que j'avais vécu avec elle n'était qu'un simple cauchemar fictif, irréel, impensable.

Pourtant, il n'y avait qu'à l'observer pour me ressasser notre histoire minable et nos bribes de souvenirs à effacer. Je n'oserais pas lui parler, elle non plus. Rompre ce silence étouffé nous embêterait. Seulement, nos deux portables retentirent au même moment. Un message groupé de Bacchus qui présentait soigneusement : « parlez-vous les nazes, on vous voit de la cuisine ».

J'émis un petit rire cristallin. De son côté, elle ferma les yeux, la mine grave. Puis elle m'appela.

Nous étions à quelques mètres l'un de l'autre mais n'osions à peine nous approcher cette fois. Je laissai mon portable sonner tandis qu'elle posait le sien sur ses cuisses dans l'attente d'une réaction.

Je décrochai.

« Vous avez rompu ? Demanda-t-elle.

Je levai les yeux dans sa direction, surpris par sa question. Elle me fixait déjà, à attendre ce « oui » ou ce « non ». Je murmurai un « oui ».

Elle raccrocha.

Je me relevai, hésitai quelques instants avant de prendre mon courage à deux mains et m'approcher d'elle. Sa chevelure mauve et ses mèches dansaient avec le vent tandis que je peinais à trouver le courage de parler. Elle avait fait le premier pas en m'appelant, à moi de faire le deuxième en discutant.

Le problème, c'était que le sujet de discussion était fatalement le pire. Nous le savions tous deux que tout cela aboutirait sur nos sentiments, notre ancien couple et nos malheurs d'adolescents.

On ne se regardait plus, je réfléchissais intérieurement. Quoi dire ? Que faire ? J'avais ma carapace de fendue et la sienne de brisée. Je lui avais toujours fait du mal en l'ignorant mais cette obsession qu'elle avait avec moi était bien moins assurée que la mienne lorsque je pensais à elle.

- Giana.

Ce fut la seule chose que je pus dire sans flancher. J'avais la gorge sèche, les mains moites et les yeux rouges d'émotions.

- Ulysse.

Sa voix sonnait si faible, si fragile par rapport à celle qu'elle avait autrefois. Elle se retenait de pleurer.

Elle posa sa tête sur mon épaule en essayant de s'essuyer les coins des yeux discrètement.

- J'ai toujours su que tu aimais bien me faire souffrir. Marmonna-t-elle.

La sentir quasi contre moi me soulageait. Il y avait ce lien qui ne pouvait pas être brisé d'une façon ou d'une autre. Ce lien on avait toujours su ce que c'était et pourquoi il nous avait tourmenter.

- Tu as déjà tenté d'oublier tout ce qui avait pu se passer cette année-là ? Comme si tout n'était que lambeaux de flammes et que nous nous n'étions jamais décidés de nous mettre ensemble ce jour-là ? Interrogeai-je en admirant la vue du ciel.

J'avais l'impression qu'un ciel rempli d'étoiles me rappelait les points de rencontres des odyssées. Le nôtre avait l'air de s'être éteint depuis la nuit des temps.

- Est-ce que tu me poses vraiment la question ? Renchérit-elle la gorge nouée.

Le reste de la soirée se déroula ainsi, les bras se frôlant, la tête sur l'épaule et les mains qui se cherchaient. Peut-être que j'avais envie de l'embrasser, la serrer dans mes bras pour l'étreindre de mon être. Mais rien ne marchait ainsi dans ce monde injuste.

Tout semblait paisible jusqu'à ce qu'on épuise nos bouteilles d'alcool, les esprits ivres.

- Tu te rappelles de notre premier rencard ? Demandai-je avec un petit sourire.

Son rire emplit l'espace quelques secondes avant de se muer en des paroles moqueuses.

- Celui où tu tu voulais me faire un hamburger maison mais que tu n'arrivais pas à ouvrir la boîte de cornichons ? Tenta-t-elle les yeux brillants.

Je soupirai de soulagement, subitement amusé par la situation.

- Ça c'était le deuxième, le premier c'était celui où je voulais t'emmener au ciné mais que je n'avais pas d'argent, donc on avait dû se barrer du centre-ville pour aller chez moi. Mais je n'avais pas mes clés donc on était coincé dehors. C'est là que tu... Débitai-je sans m'en rendre compte.

La fin de la phrase m'embrouillait l'esprit. J'étais bourré, sensé d'une certaine manière mais ressentais la tension qui planait dans ce genre de situation. Elle, non.

- C'est là que je t'ai embrassé, je m'en rappelle très bien. Il y avait même des orties dans ton jardin et vu qu'on était allongé dans l'herbe, on avait peur de se faire piquer par les moustiques de saison. Compléta-t-elle entre deux rires.

La nostalgie du temps où tout allait bien s'empara de l'endroit.

- Les gens ne savent toujours pas pourquoi on a rompu. Xiao pense que je t'avais trompé et Bacchus imagine que j'étais amoureux d'une autre nana. Dis-je avec un rire nerveux.

Le silence revint et elle pleura. Ses larmes laissèrent place à mes tentatives incessantes de ne pas craquer. Mais la douleur était bien là, m'emprisonnait tout entier. Giana pleurait contre moi, elle s'était complètement collée, comme bien décidée à me serrer dans les bras. Je sentais son délicieux parfum.

- À l'époque quand tu m'as abandonnée parce que je t'avais annoncé que j'étais tombée accidentellement enceinte, j'ai eu envie de mettre fin à mes jours. Au lieu de ça, j'ai avorté sans rien te dire. Le lendemain, tu étais revenu des paquets de vêtements pour bébé, les couches dans les bras. Ulysse... Je...

Pleurer faisait du bien, exprimait ma fragilité. Malgré tout, cette faiblesse m'empoisonnait l'existence, me donnait l'impression de périr devant elle. Ce jour-là, il faisait beau, on s'était donné rendez-vous après une semaine d'absence de sa part. Elle avait mauvaise mine et m'avait lâché ce fameux « Je suis enceinte. ». J'avais mal réagi, choqué, complètement sidéré et m'étais barré. J'avais réfléchi pendant de longues journées et nuits en essayant de comprendre comment ça avait pu arriver, ce que j'allais faire avec un gosse. Parce que oui, je voulais le garder.

La nuit de la dispute, celle où elle m'avait annoncé que l'enfant avait été avorté, j'avais fait toutes ces courses pour nous préparer quelques mois en avance. Mes mots dépassaient ma pensée et je lui avais tout simplement dit que je ne l'avais jamais aimé.

Ce fut la pire soirée et rupture de ma vie.

On pleura longtemps tous les deux en silence, serré l'un contre l'autre, dessoûlés.

- Giana, je suis tellement, tellement désolé. Bredouillai-je entre deux reniflements.

Elle hocha la tête, consciente les joues mouillées et remplies de traces de mascara. Elle colla ses lèvres sur mon front. Et je ressentis ce qu'elle voulait me faire passer par ce simple mouvement. Elle me pardonnait.

AlphabetWhere stories live. Discover now