Chapitre 5

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Ils étaient trois êtres vivants dans la pièce, à présent. Edith, l'Autre, et l'araignée qui se déplaçait sur un mur. Elle bougeait lentement, comme envahie par une profonde paresse – ou peut-être était-elle paralysée par une peur semblable à celle des humains, peut-être était-elle également captive.

Edith n'avait aucun amour pour les araignées. Autrefois, elle en était terrifiée, elle les fuyait dans ses cauchemars. A présent, il ne résistait de ces temps qu'un dégoût persistant.

A sept ans, la petite fille se cachait sous sa couette, respirant à pleins poumons le parfum familier des draps – encore non contaminés par la puanteur des cigarettes – en y cherchant réconfort. En vain, car derrière ses paupières écrasées l'une contre l'autre, l'araignée étalait ses membres fantomatiques et tissait solidement sa toile.

La porte de sa chambre s'ouvrit si brusquement qu'elle fit trembler le mur en le heurtant. Un juron répondit au choc – ce dernier n'avait pas été volontaire, Maman ne contrôlait pas bien ses mouvements, parfois. Sauf qu'elle ne pouvait pas se permettre de casser des choses qu'elle n'aurait pas les moyens de réparer.

-Edith ! tonna-t-elle. On mange, ça fait trois fois que je t'appelle !

-J'ai peur, couina l'enfant.

Un grognement impatient lui répondit.

-Comment ça, peur ? qu'est-ce qu'il y a encore ?

-L'araignée, murmura Edith.

Elle montrait du doigt une direction générale, mais sans grande utilité ; elle n'avait pas osé quitter la chaleur de sa couverture, et en était toute entière enveloppée.

-Oh, s'énerva Maman, ne fais pas le bébé. La petite bête ne va pas manger la grosse. Viens ici tout de suite.

Edith secoua fervemment la tête. Poussée à bout, l'adulte fondit sur elle, ses pas pesants, lui arracha la couette, et, ayant dévoilé ses joues, la gifla. Des larmes silencieuses coulèrent des yeux élargis, mais Maman ne les vit pas.

-On passe à table maintenant, dit-elle.

Edith fut surprise de trouver sa gorge nouée pour une raison autre que ses chaines. Elle voulut y trouver un signe positif : elle pouvait s'émouvoir du passé. Elle n'était pas encore avalée par le présent. Elle pensa un peu ridicule d'être touchée par un souvenir si lointain, mais s'il en était ainsi...

Elle se racla la gorge, sans se rendre compte que le son soudain déchirerait le silence comme un voile trop fin. Penaude, elle rencontra les yeux de l'Autre. Elle l'avait fait sursauter, et s'en excusa mentalement. Elle crut un moment qu'il l'avait entendue, imagina une réponse cordiale, puis se sentit ridicule. Bientôt, devina-t-elle, elle imaginerait des conversations entières avec son compagnon de captivité. Elle le vit tenter une fois de plus, mais sans vigueur, de se débarrasser du ruban adhésif – elle l'imita machinalement. Ils échangèrent un coup d'œil résigné. Edith ne pouvait pas rêver – elle ne pouvait pas inventer le début de camaraderie qu'elle sentait naître. Dans des circonstances extrêmes, un petit soutien existait... une ombre de chaleur fit fondre la couche supérieure de son angoisse. Ce même soutien du premier moment.

-Je voulais attendre...

Edith fronça les sourcils.

-Attendre pour quoi ?

Philip cligna des yeux, comme éveillé d'un songe. Un trouble étrange oscillait au-dessus de ses traits. Il gratta du bout du doigt la vieille peinture du banc.

-Pour ça, grommela-t-il.

Sur ce, il quitta sa position assise, retirant à Edith la main qu'elle tenait doucement. Il respira profondément, et survola le paysage ondulant du regard, comme pour le figer à jamais dans sa mémoire. Puis il fit face à la jeune femme, et s'agenouilla devant elle.

Aucune raison de s'inquiéterWhere stories live. Discover now