Chapitre 14

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Les pas qui se réverbérèrent contre les murs extérieurs à la cellule, peu de temps après, ne provenaient que d'une seule personne. L'homme revenait. Le cœur d'Edith était prêt à exploser hors de sa poitrine. Tout allait se décider dans ces prochains moments. L'Autre respirait profondément, de longues bouffées d'air étaient aspirées par son nez, leur longueur voulant camoufler leurs tremblements. Ceux-ci étaient dus à la souffrance physique, et cette dernière n'avait pas pour seule cause les coups des deux armoires à glace.

Il venait de se passer quelque chose.

Edith n'avait pas bien vu. L'Autre était en face d'elle, ses poignets menottés dans son dos, elle ne pouvait donc que deviner ce qu'il faisait de ses mains.

Elle avait relevé l'éclair de peur et de détermination dans les prunelles de l'homme. Le doute momentané. Puis, un mouvement brusque de ses bras, concentré, elle le devinait, sur au moins l'une de ses mains. Un craquement mauvais avait retenti. Edith n'en avait jamais entendu un semblable, mais elle aurait pu jurer qu'il provenait d'un os.

L'Autre avait fait quelque chose, volontairement, dont la femme ne saisissait pas encore l'issue, mais si cette action avait à voir avec ses mains emprisonnées – elle n'osait pas espérer.

L'homme entra. Sa posture était de la nonchalance de celui qui se sait maitre absolu d'une situation, torse gonflé par la supériorité.

Il tenait un revolver dans sa main droite. Ses intentions étaient limpides. Une nouvelle larme coula le long de la joue d'Edith. Elle s'était crue préparée à ce moment. Elle avait eu tort. On ne se préparait pas à quitter une vie que l'on aimait.

Il ne parla pas tout de suite. L'angoisse de l'Autre était devenue une façade. Derrière celle-ci, Edith devina une attente, pareille à celle d'un prédateur, tapi, prêt à abattre sa proie, n'attendant que le moment parfait. Alors, la certitude vint : il avait réussi à libérer ses mains, et ne le cachait qu'en guettant l'instant où il pourrait attaquer leur geôlier. Un nouvel espoir naquit en Edith, avec une force qu'elle ne s'était pas laissé ressentir depuis longtemps. Et si la police approchait ? Et si, grâce à l'Autre, ils parvenaient à s'évader ? Elle s'imagina courir hors de cet enfer, courir avec l'Autre à la rencontre des sirènes urgentes, elle les vit accueillis chaleureusement comme de miraculeux rescapés. Elle imagina entendre la voix de l'Autre, enfin, alors que, épaules enrobées de couvertures fournies par les secours, ils tenaient entre leurs mains des tasses d'un quelconque liquide chaud, réconfortant... non, pas quelconque, le thé préféré d'Edith, un Earl Grey avec juste un peu de lait... Elle imagina Philip l'attendre. Et sa bouffée d'enthousiasme s'effrita. Elle n'y croyait pas vraiment, mais, pire, l'idée de revoir son mari lui fit soudainement peur.

Horrifiée, elle comprit qu'elle avait trop changé. Elle se réveillerait la nuit, en proie à des cauchemars, et ne voudrait pas en parler à l'homme allongé à ses côtés. Elle voudrait en parler à l'Autre. Elle ne verrait plus Philip du même œil, car peu importait la véracité des soupçons portés sur lui. Ils avaient existé. Rationnellement, Edith savait qu'il n'avait jamais voulu la mettre dans une telle situation. Mais saurait-elle s'abandonner à nouveau, faire confiance ? On lui avait trop souvent fait du mal. Elle haït l'homme en noir, au centre de la pièce, elle le haït car il avait détruit la vie qu'elle avait eu tant de mal à construire. Il l'avait détruite, de la plus efficace des manières : en s'assurant qu'Edith s'en charge elle-même.

-Je suis désolé, dit l'homme.

Elle cligna des yeux, surprise. Il parlait toujours d'un ton doux ; plus que cordial, presque affectueux. Comme s'il était leur ami, navré par des circonstances indésirables. Un ami qui les retenait prisonniers, bâillonnés, sans nourriture, et envoyait des bras payés les torturer.

Aucune raison de s'inquiéterWhere stories live. Discover now