Chapitre 12

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Edith se sentait distanciée de son corps. Ils étaient deux entités séparées. Toutes deux battaient au rythme d'une forme de douleur, mais l'une, dos courbé, était écrasée par la sienne. L'autre n'était pas tout à fait vaincue. Mais lorsqu'elle le serait, les dommages seraient bel et bien irréparables.

Physiquement, si le traitement rude infligé par leurs geôliers laissait Edith pareille à une boule de nerfs à vif, il ne semblait pas avoir laissé de dégâts durables. Certainement, une blessure grave serait plus douloureuse encore. Si la lumière du jour ne lui était pas devenue à jamais inaccessible, son corps aurait pu se remettre de sa captivité. La faim qui lui tenaillait le ventre, de plus en plus insistante, ne l'accablerait pas à jamais. Edith savait que l'occasion ne lui serait pas donnée de se remettre d'aplomb. C'était peut-être plus cruel, de se savoir capable de rebondir, mais d'avoir cette chance rendue inaccessible. Philip chuchotait, au fond de son âme, la suppliait de rentrer à la maison. Elle n'arrivait pas à lui expliquer que ce n'était pas possible. Un souffle désespéré, on avait dit à bientôt, faisait taire sa rationalité. Tout cela n'aurait jamais dû arriver. Elle aurait dû être chez elle, le nez dans des papiers ou un roman, en tailleur sur le canapé devant la télévision, profitant de brèves vacances et complotant pour l'anniversaire de son mari, elle n'aurait pas dû être attachée à une chaise inconfortable, souffrant aux mains d'inconnus pour une raison qui lui échappait toujours.

Plus frustrant que tout, elle sentait l'illumination à portée de main. Elle sentait la compréhension, rôdant aux abois de son intellect, dans un coin de son subconscient. Elle sentait que les mots de leur geôlier avaient déclenché un cheminement de pensée, dont l'issue se cachait encore à ses yeux, sournoise. Elle était proche, très proche. En devinant, pourrait-elle changer quoi que ce soit ? Elle devenait folle, à tourner en rond, à ressasser ses souvenirs sans voir en eux la clé, à effleurer la réponse dans parvenir à refermer ses mains sur elle.

Pire : l'Autre avait compris.

Si cela ne lui était pas venu alors que parlait l'homme mystérieux au ton trop doux, c'était alors que les mercenaires quittaient la pièce. Quelque chose avait changé, dans son regard qu'Edith connaissait à présent par cœur. Elle voyait un peu de lui, de son être profond à travers ces pupilles claires. Quelque chose était différent, depuis très peu de temps. Il semblait tenter de lui exprimer la solution, mais ses pensées ne quittaient pas l'enceinte de sa boite crânienne. Il hurlait en silence, et un voile de confusion aveuglait toujours Edith.

S'il avait compris, certainement, elle ne tarderait pas à faire de même. Il ne pouvait en être autrement. Elle y était presque. Philip, derrière ses paupières, qui lui soufflait, tu vas y arriver, tu peux arriver à faire n'importe quoi, je te l'ai dit. Il arborait dignement le sourire qu'elle aimait tant, celui qui avait fait tressauter son cœur dès le premier moment. Je t'aime, pensa-t-elle. Ces mots qu'elle n'avait jamais su dire à Lili, à Marc, elle les avait prononcés pour lui, et il les lui avait rendu, un million de fois, il les avait prouvés, encore et encore. Son sourire en disait plus que n'importe quoi d'autre, mais il était appuyé par une sublime fresque de petits gestes et mots, un rappel constant que l'ère de la solitude avait atteint sa fin. Dans la solitude du mutisme, elle n'était pas seule. Jamais. Je suis avec toi. Je suis toujours là.

Il était là. L'Autre avait connecté les points, elle pouvait faire de même.

Edith réfléchit.

Aucune raison de s'inquiéterWhere stories live. Discover now