2ème jour

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Il est 7h30, je me réveille et me tourne de ton côté, tu es réveillé, sans un mot tu m'attires dans tes bras et tu me serres contre toi. Fort. Tu n'es pas le genre d'homme à faire part de ses émotions. Non. Tu agis. Et ce geste, c'est beaucoup pour toi. Il me rassure mais à la fois il m'inquiète, je sens une sorte de tension. C'est léger mais c'est là.

Je ne dis rien. J'attends. Je sais que tu as besoin de temps pour t'exprimer, c'est toi. Tu dois réfléchir avant d'agir, penser avant de parler. Tout mon contraire. Moi l'impulsive, celle à qui, enfant, on a répété plus d'une fois « tourne sept fois ta langue dans ta bouche avant de parler », celle qui est hypersensible mais qui essaye de dire ce qu'elle ressent. Même si c'est parfois totalement confus.

J'attends, je sais que tu as quelque chose qui te tracasse. Je le vois à tes sourcils froncés.

-Ma soeur a de la fièvre depuis cette nuit. Elle tousse beaucoup et son mari, jusque là serein commence à être inquiet.

Pour une fois, avant de dire quelque chose, je fais comme toi, j'agis et je resserre l'étreinte de mes bras autour de ton cou, pour te dire que je suis là. Je sais que certains mots peuvent t'effrayer, te faire reculer, alors j'apprends à agir, au lieu de parler parfois. Puis les mots me viennent.

-Je suis désolée... J'aimerais te dire de ne pas t'inquiéter, mais je sais que c'est impossible. Au vu de la situation.

-Merci.

Et hop, telle une huître, tu te refermes. Tu ne diras rien de plus. Ce n'est pas grave, je ne t'en veux pas. Tu es comme ça et c'est l'homme que tu es qui me plait, avec ses qualités et ses défauts.

Je t'embrasse, puis me lève et ouvre un peu le volet, le soleil brille encore aujourd'hui, je propose que ce midi on déjeune sur la terrasse, ce serait bête de ne pas profiter un peu de ce beau soleil.

Tu hoches la tête, toujours mutique. Tu m'embrasses et pars en silence te doucher. Je me sens seule tout d'un coup. Je ne veux pas me laisser abattre, alors je me lève et vais préparer le petit déjeuner. Ce n'est pas dans tes habitudes, mais tant pis, un thé bien chaud et une tartine te donneront, peut-être, le sentiment que tu n'es pas tout seul à affronter ça.

Quelques minutes plus tard, alors que je tourne ma cuillère dans mon thé, tu arrives dans le salon, tu es tout beau, chemise et jean. Prêt pour ta journée de boulot. Le contraste entre nos tenues est assez saisissant : tu es habillé comme si tu partais travailler (bon il faut dire que tu as une réunion en Visio à 8h30, le pyjama c'est moyen devant les collègues) et moi je suis en débardeur et pantalon de pyjama, classe. Ça me fait sourire.

-Merci pour le thé.

-Je t'en prie, je pensais que tu avais besoin de force pour attaquer cette journée.

-C'est gentil.

Quelques mots échangés, je ne suis pas plus rassurée, mais tu esquisses un vague sourire, c'est toujours mieux que rien.

Nous terminons notre petit déjeuner en silence, j'ai froid, je frissonne un peu. Tu me prends dans mes bras et me serres fort contre toi. J'entends ton coeur qui bat.

-Merci d'être là.

Je ne réponds pas, mais caresse ton dos, geste tendre pour te dire que je suis là moi aussi.

Je débarrasse la table, t'embrasses et te laisse aller dans la chambre d'amis, qui fait également office de bureau. Tu fermes la porte. Voilà, tu as changé de casquette.

C'est fou comme l'homme peut avoir plusieurs facettes : celle de l'ingénieur professionnel et souriant face à ses collègues, celle de l'oncle gaga face à ses nièces, celle de l'homme jovial et qui aime rire avec ses amis. Et puis il y a celle de l'homme qui est avec moi, celui qui me fais rire, celui qui est tendre et attentionné, celui qui est doux et patient. Même si parfois tu te renfermes un peu dans tes pensées, tu ne me laisses pas voir ce petit coeur fragile et brisé qu'il y a au fond de toi, et quand tu sens que je commences à l'apercevoir, tu fermes la porte. Peut-être par peur que je le brise ? Je ne sais pas.

Je retourne dans la chambre, je plie la couette au pied du lit, j'ouvre la fenêtre et vais me doucher.

Mon cerveau cogite à pleine vitesse. Cette histoire de virus commence à m'inquiéter de plus en plus.

Moi qui prenait les choses avec distance au début, j'ai de plus en plus de mal à prendre du recul face à la situation.

Je commence à être vraiment inquiète pour mon père et sa santé fragile. Ma grand-mère vit avec eux, elle est cardiaque. Ma mère est en bonne santé. Mais aujourd'hui je ne suis plus sûre que ce soit gage de bon pronostic face à cette saleté !

Ma soeur côtoie ce fichu virus au quotidien, les informations ne sont pas des plus rassurantes. J'essaye au maximum d'éviter de les écouter ou de lire les actualités, trop de nouveaux cas chaque jour, trop de personnes contaminées, trop de morts. Je sens que malgré tout, la peur, commence à sournoisement remonter à la surface. J'ai peur de lui céder trop de place et que les bouffées d'angoisses m'envahissent. Heureusement, j'ai toujours avec moi, mon homéopathie si besoin.

Je sens que cette période va changer beaucoup dans la vie de beaucoup d'entre nous. Mais est-ce que ce sera en bien ? En mal ? Est-ce que l'humain va prendre conscience de l'importance de respecter les règles ? Ou va-t-il montrer un peu plus la noirceur de son âme ?

Toutes ces questions tournent dans ma tête. Et soudain, j'ai peur du lendemain. Qu'en sera-t-il lorsque cette pandémie sera passée ? Dans quel état sera notre pays, une fois que nous aurons fini de compter nos morts, que les soignants qui s'en seront sortis sains et saufs, ne seront pas tous au bord du burn-out ? Dans quel état les plus fragiles d'entre nous ressortiront-ils ?

Avec humour, je vois passer sur les réseaux sociaux, des dessins disant que dans 9 mois il y aura un boom des naissances, mais aussi de divorces.

Dans un sens, ce n'est pas faux. Mais qu'en est-il de toutes ces femmes qui vivent, confinées, avec des compagnons qui les battent ? Les violent ? Et tous ces enfants maltraités ?

Comment, chaque individu va-t-il ressortir de cette période ? Mes angoisses prennent un peu trop le pas, je secoue la tête et me regarde dans le miroir. Je souris et me dit, que malgré tout, je suis chanceuse, car je passe ce confinement avec lui, alors que d'autres sont seuls. Ou pas heureux avec la personne qui est sous le même toit qu'eux.

Je m'habille, vais faire le lit, prends un peu d'homéopathie pour calmer mes angoisses, me brosse les dents. Puis vais m'installer sur le canapé pour lire.

Je regarde dehors. Il fait beau, à midi nous déjeunerons sur le balcon. Au loin, je vois de gros nuages noirs, la pluie semble s'annoncer. J'espère que c'est bien ça et non pas un présage plus funeste. Car, après tout, ce n'est que le 2ème jour.

Confidences d'un confinement...Where stories live. Discover now