4ème jour

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Je me réveille après une nuit difficile. Ton sommeil a été agité, tu as beaucoup tourné, bougé, regardé ton téléphone un nombre incalculable de fois, tu as soupiré avant de te retourner pour voir l'heure qu'il était.

Vers 3h du matin, je me suis rapprochée de toi, me suis blottie contre dos, tu t'es tourné face à moi et tu m'as serré dans tes bras. Très fort. Puis j'ai senti quelque chose d'humide sur ma joue. Une larme, tu as pleuré en silence. Toujours du silence quand il s'agit de tes émotions. Je l'ai respecté, je t'ai laissé vider ce "trop plein" en te serrant aussi fort que je le pouvais contre moi.

Je me sentais tellement impuissante face à ta peur. Ta soeur était désormais en réanimation, intubée, car ses poumons étaient trop infectés pour pouvoir respirer de façon normale. Ton beau-frère et ta nièce n'ont pas le droit d'aller la voir. Lui peut seulement joindre le service par téléphone pour avoir des nouvelles, qu'il relaye à ta mère et à toi. Il rassure comme il peut sa fille, qui ne comprend pas vraiment pourquoi sa maman n'est pas à la maison.

Depuis que tu as appris cette nouvelle en fin d'après-midi, je vois l'inquiétude grandir sur ton visage. Une ride sur ton front se forme tellement tu fronces les sourcils.

Quand tu as su ça, ton premier réflexe a été de vouloir aller à l'hôpital, sauf que c'était impossible. Tu as dit à ton beau-frère que s'il avait besoin tu étais là. Avec sa fille, ils doivent rester chez eux, au cas où ils soient porteurs eux aussi, ils doivent contrôler l'apparition de fièvre ou de toux sèche.

Je sens à quel point tu es inquiet pour eux, tu te sens perdu et je ne sais plus trop comment agir pour te consoler, te réconforter. Alors je fais de mon mieux, je te serre la main quand je sens la peur gagner du terrain, je te souris quand je te vois triste, j'essaye de faire de mon mieux pour alléger ton esprit.

Au dîner, tu m'as dit que le lendemain tu ne télé travaillerais que le matin, tu as une réunion importante mais comme tu as bien avancé, tu t'accordes un peu de répit. J'ai acquiescé. Tu m'as dit que ça nous laisserais un peu de temps pour nous deux, pour regarder un film ou bien faire un jeu de société.

Ce matin, quand j'ai ouvert les yeux, j'ai prié très fort pour que le grand chef là haut veille sur ta soeur et qu'il ne lui arrive rien. Et je me rends compte à quel point j'ai envie de la connaître, autrement que par tes mots.

Tu dors encore, j'observe ton visage, tes sourcils sont froncés, encore, ton visage est encore un peu tendu, mais tu sembles avoir un peu mieux dormi sur la fin de la nuit.

Tu te réveilles, tu me prends dans tes bras et tu me dis

-Désolé si j'ai beaucoup bougé cette nuit.

-Non, ne soit pas désolé, tu n'y es pour rien. Tu es inquiet pour ta soeur et c'est tout à fait normal.

-Oui, mais je t'ai empêché de dormir...

-Et alors ? On fera la sieste cet après-midi, ce n'est pas grave.

-Merci.

-De quoi ?

-D'être là, de m'écouter. Moi qui ne parles pas ou peu, je ne sais pas pourquoi avec toi ça me parait plus facile...

Je ne réponds pas, car je ne sais pas quoi lui dire. Je suis juste contente qu'il puisse se confier à moi, j'espère seulement que ça lui fait du bien.

-Tu sais, c'est normal pour moi de t'écouter, c'est ça être un couple.

-Moui... Ça dépend des personnes...

-Si tu le dis. On va déjeuner ?

-Je vais me doucher et je te rejoins à la cuisine.

Tu m'embrasses et pars te doucher. Je ne te le dirais pas, mais tes mots m'ont touchée. En effet, pour un homme qui n'est pas bavard, tu t'ouvres petit à petit...

Je me lève, replie la couette au pied du lit, ouvre la fenêtre et prends soin de fermer la porte derrière moi en quittant la chambre. Une fois dans la cuisine, je mets de l'eau à bouillir et sors tout ce dont on a besoin pour notre petit-déjeuner.

Au début de cette pandémie, quand on en a eu parlé avec mes collègues à l'institut, je n'étais pas vraiment inquiète. Au contraire. J'étais plutôt sereine, car je ne pensais, comme beaucoup, qu'il ne s'agissait que d'une grippe hivernale, plutôt virulente, mais grippe « normale » tout au plus. Puis, l'épidémie s'est répandue ailleurs qu'en Chine, là d'où tout est parti.

L'épidémie est devenue une pandémie. J'ai vu le raisonnement médical de ma soeur se modifier progressivement au fil des jours. J'ai pu entendre son discours, tout doucement mais sûrement, passer du stade « c'est juste une grippe » à « c'est plus qu'une grippe ». Et je me demande pourquoi, si c'est plus qu'une grippe, l'état n'a pas réagit plus tôt ? Surtout en voyant ce qu'il se passait dans les autres pays touchés. La vitesse à laquelle se répand le virus est assez impressionnant. Mais que penser ?

Ce qui est compliqué dans cette situation, c'est lorsque l'on a des proches qui travaillent dans le milieu de la santé. Car notre avis et notre regard est, en quelque sorte, biaisé car « on sait » parce que eux, voient et entendent des choses en étant sur le terrain.

J'essaye de prendre du recul mais ça n'est pas forcément évident. Car lorsque l'on voit des personnes faire des stocks de nourriture indécent (on n'a quand même jamais manqué de nourriture dans les supermarchés !) et que cela génère une situation très anxiogène, une sorte de psychose générale, alors qu'elle l'est déjà un peu.

Je ne comprends pas pourquoi ces personnes achètent autant de paquets de pâtes ou de riz ? Ou autant de rouleaux de papier toilette ? De quoi ont-ils peur en faisant ça ? Quelle est leur véritable crainte au fond ?

Ont-ils réellement peur de ce virus ? Ou d'autre chose ? Une peur plus profonde et plus ancestrale gravée, inconsciemment, dans l'esprit de chaque individu. Celle de la guerre ?

Mais guerre de quoi ? J'essaye d'analyser la situation et d'essayer de comprendre pourquoi agir ainsi ? Je suis comme ça, j'ai toujours eu ce besoin de comprendre les choses pour les « accepter » mais là, la situation m'échappe en quelque sorte et je ne comprends pas.

Je ne comprends plus le monde dans lequel je vis. Je ne comprends pas pourquoi, au lieu d'être solidaires, les gens deviennent aussi égoïstes.

Je me demande quelle sera la leçon à tirer de cette pandémie, car il y en aura bien une. Mais laquelle ? Je pense que je ne suis pas encore prête à avoir la réponse à cette question, et qu'elle viendra bien plus tard.

Je dois essayer de ne pas trop me triturer les méninges et ne pas me renfermer dans mes peurs. Tu as besoin de moi. Tout comme j'ai besoin de toi.

Il nous faut nous soutenir l'un l'autre, nous n'en sommes encore qu'au 4ème jour...

Confidences d'un confinement...Where stories live. Discover now