16ème jour

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Ce matin, j'ouvre les yeux et regarde l'heure sur mon téléphone. En voyant la date, ça me fait un peu bizarre. Nous sommes le 1er avril. C'est supposé être une journée plutôt joyeuse, celle où l'on peut se permettre de retrouver un peu notre âme d'enfant et faire des petites blagues à ses proches, ses amis, ses collègues.

Cette année, il n'y aura rien de tout cela. Et ça me chagrine un peu. Tous les ans, ma directrice aime bien nous concocter un petit tour, elle réussit parfois à nous avoir, mais d'autres non. L'ambiance du travail commence à me manquer. Même si j'ai des nouvelles de mes collègues, elles me manquent un peu.

L'institut est une sorte de seconde famille. Mes collègues sont devenues des amies au fil du temps, et ma directrice -qui est de la génération de mes parents- est un peu une sorte de mère pour moi. Elle est toujours bienveillantes avec nous. C'est un petit institut et nous ne sommes que trois employées et elle. Un petit cocon de bien-être qu'elle a créé voilà quelques années.

C'est dans ce genre de situation que l'on prend conscience que le travail et les collègues sont une composante importante dans nos vies. Car même si nous sommes sérieuses et rigoureuses, ma directrice a toujours fait en sorte que nous soyons bien au travail, qu'il y ait une ambiance agréable.

Jusqu'à présent, ça allait, mais aujourd'hui, j'aurais bien aimé être avec elles. Pour rire. Voilà aussi une chose qui me manque : rire.

Même si tu es là avec moi, toi comme moi, nous ne rions plus ou très peu. Cette situation fait peser une sorte de chape de plomb sur nos sourires.

Au début, il y a eu des plaisantins qui ont fait des photos et vidéos un peu humoristiques au sujet du Covid-19, du confinement, des personnes qui font des stocks de pâtes, etc. Au début, ça nous faisait sourire et nous déridait. Mais je dois avouer, qu'aujourd'hui, j'ai plus de difficultés à, ne serait-ce que sourire.

La vie semble être devenue bien plus sérieuse, elle a pris quelques degrés de gravité. Comme si d'être enfermés chez soi, avait enfermé nos sourires dans nos coeurs. La situation n'est pas drôle. Elle est loin de l'être et je pense que nous nous sommes lassés de cet humour qui entourait les premiers jours du confinement.

C'était la nouveauté, la découverte d'une nouvelle façon de vivre. Maintenant, c'est devenu presque une routine. Et c'est en ça que cela devient triste : nous nous y habituons presque, nous nous en contentons, mais nous oublions de sourire.

Il faut dire que le manque d'interactions sociales est un frein au sourire. Car c'est aussi dans l'échange avec les autres que l'on peut rire ou sourire. Là, mis à part avec la personnes qui l'on partage le confinement -et encore, pour ceux qui ne sont pas seuls- peu d'occasions d'avoir des échanges. Sauf via les téléphones. Mais ce n'est pas pareil. Le contact humain manque.

Aujourd'hui, j'aurais aimé te faire une petite blague, quoi, je ne sais pas, mais j'aurais aimé. Mais au fond de moi, je n'ai pas trop le coeur à plaisanter. Même si je suis persuadée que cela nous ferait du bien. À toi, comme à moi.

Mais quelle idée trouver ? Je ne sais pas du tout. Ta main qui caresse ma cuisse me sort de mes réflexions.

-Tu penses à quoi ?

-C'est le 1er avril aujourd'hui.

-Ah oui, c'est vrai.

-J'aurais aimé te faire une petite blague...

-Tu peux, c'est le jour fait pour.

-Oui je sais... Mais je n'en ai pas l'envie.

Tu ne réponds pas et me prends dans tes bras. Depuis ma crise d'angoisse, je sens parfois ton inquiétude me concernant. Peut-être que tu as peur que cela se reproduise, normalement il ne devrait pas y avoir de risques, je prends de l'homéopathie tous les jours pour calmer mon anxiété. Mais je sens ce regard que tu as sur moi. Je sens ton inquiétude. Tu as déjà assez à t'inquiéter, tu as ta soeur. Je ne veux pas t'en « rajouter », alors je me promets silencieusement d'être plus forte pour que tu n'aies pas trop à porter.

À chaque jour suffit sa peine comme on dit. Mais bon, je ne veux pas me laisser happer par ce côté négatif que je sens en moi depuis quelques jours. La vie, la situation est déjà assez compliquée pour que je ne m'en rajoute avec des idées un peu pessimistes. De toute façon, mis à part rester chez soi, prendre notre mal en patience tout en essayant de penser positivement à l'après est l'une des choses qui peut nous aider à avancer. Un peu plus sereinement.

Je vais faire un gâteau au chocolat tiens ! Il nous reste encore pas mal d'oeufs, vu que tu en avais dans ton frigo et que j'en ai ramené de chez moi. Et tu as un bon stock de farine. Je pense qu'un peu de douceur ne peut pas nous faire de mal, bien au contraire.

Si la musique adoucit les moeurs, le chocolat fait du bien au moral !

-Pourquoi tu souris ?

-Je pensais que j'allais nous faire du bien au moral en faisant un gâteau au chocolat ce matin. Un peu de douceur dans ce monde de fou...

-Voilà une idée qui me plait beaucoup.

-Je n'en doute pas !

Et je souris en voyant ton regard. Toi et le chocolat ! Tu en es aussi fou que moi. Je crois que nous nous sommes bien trouvés tous les deux. Et je suis heureuse que tu sois dans ma vie. Encore plus en ce moment. Je ne sais pas comment j'aurais fait pour affronter cette période seule. Si tu n'avais pas été là. Si je n'avais pas pu me blottir dans tes bras quand ça ne va pas.

Chaque fois que je sens tes mains qui m'enlacent, je me dis que j'ai une chance incroyable de t'avoir, et je pense à toutes ces personnes qui sont plus seules et isolées que jamais. La tristesse et la solitude qu'elles doivent ressentir.

Il est parfois triste de constater qu'à l'heure du tout numérique, du tout connecté, l'être humain est plus seul que jamais...

Je chasse ces pensées négatives de ma tête, car je t'ai, toi, près de moi. Nous sommes le 1er avril, le 16ème jour.

Confidences d'un confinement...Where stories live. Discover now